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La Résurrection

Bréviaire dit de Philippe le Bon à l’usage de Paris
La Résurrection
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Ce manuscrit est la partie d’hiver d’un bréviaire en deux volumes réalisé pour le duc de Bourgogne Philippe le Bon. Il contient les propres de l’Avent jusqu’au samedi de la Pentecôte. La majeure partie de l’illustration est l’oeuvre de Willem Vrelant, enlumineur sans doute originaire d’Utrecht et actif à Bruges depuis 1454 au moins jusqu’à 1481, qui a peint également la totalité de la partie d’été (Bruxelles, KBR, ms. 9026).
Nous ne nous attarderons ici que sur les deux premières miniatures, dues à un tout autre pinceau, celui de Jean Le Tavernier. Au f. 15, un imposant Arbre de Jessé, peint sur une grande miniature à mi-page, ouvre les vêpres du samedi précédant le premier dimanche de l’Avent. Le capitule Ecce dies veniunt, introduit par une grande initiale ornée, évoque en effet l’ « ensemencement » des maisons d’Israël et de Juda (Jr 23, 5-8), dont était issu Jessé, père de David et ancêtre de Jésus, un thème approprié pour introduire ce temps de l’année liturgique qui mène à la fête de Noël. C’est précisément la Naissance de l’Enfant Jésus, présentée ici, qui ouvre, au folio 43 vo, la première lecture de l’office de la Nativité. Elle illustre le passage d’Isaïe (9, 1-6) annonçant la venue du Sauveur.
Il s’agit là des deux seules miniatures entièrement réalisées par Le Tavernier, mais elles constituent sans doute le sommet de son art et donnent toute la mesure de son talent. La finesse d’exécution est époustouflante dans tous les détails : le visage de Joseph, avec ses cheveux et sa barbe en bataille, le modelé délicat du large front dégarni et des fossettes, le dessin sensible du nez et des oreilles comme celui de la main droite, maintenant son grand couvre-chef rouge du bout de ses longs doigts expressifs ; de même, le portrait sans concession de la Vierge, au visage ovale un peu bouffi, dont l’oreille retient de longues mèches dorées, tressées à hauteur du front, au-dessus d’un petit menton rond et de lèvres charnues ; les drapés, délicatement rehaussés d’or liquide, s’écrasent sur le sol en formant des plis puissamment cassés.
Ce souci du détail et de la monumentalité doit beaucoup à l’influence de l’art campinien, dont l’oeuvre de Le Tavernier est profondément empreint. Il suffit de comparer la Nativité du Bréviaire de Philippe le Bon avec celle de Dijon (MBA, inv. no CA 150), attribuée à Robert Campin, pour mesurer l’importance de cette dette : la posture de la Vierge en prière et celle de l’Enfant posé sur le sol sont très semblables ; il en va de même du type du vieillard barbu incarné par Joseph. Mais le détail commun le plus frappant, bien mis en évidence par François Avril, c’est la présence de la sage-femme au couvre-chef extravagant, figure apocryphe qui, la première, reconnaît le miracle de l’enfantement par une vierge. Ce motif apparaît avec insistance dans les oeuvres de peinture et d’enluminure tournaiso-gantoises influencées par la mouvance campinienne, qu’il s’agisse de la Nativité de Jacques Daret (Madrid, MT, inv. no 124), de certaines miniatures du Maître de Guillebert de Mets et de son suiveur, le Maître des Privilèges de Gand et de Flandre, ou, plus proche encore, de la fameuse Nativité de la Grande Boucherie de Gand, une peinture murale flémallienne, hélas très restaurée, datée de 1448 et traditionnellement attribuée au peintre gantois Nabur Martins. Nombreux sont les liens entre cette oeuvre monumentale et les compositions de Jean Le Tavernier.
erceptible dans la miniature de Bruxelles : celle des Van Eyck, avec leur fascination pour le rendu des matières. Le chaperon bleu de Salomé, semé de pierres précieuses et couvert d’un voile transparent, témoigne d’une sensibilité commune, ainsi que les anges aux expressions personnalisées, vêtus de larges chapes de brocart au décor brodé dont les mors, magnifiques pièces d’orfèvrerie, évoquent irrésistiblement les musiciens du panneau gauche de l’Agneau mystique. Rappelons que le célébrissime tableau des Van Eyck était visible à l’église Saint- Jean (maintenant Saint-Bavon) dès 1432. On peut parfaitement supposer que Le Tavernier avait eu le loisir de l’étudier.
Selon Winkler, l’intervention de l’enlumineur ne se serait pas limitée aux deux premières miniatures du bréviaire. Il aurait également peint les arbres de la Résurrection (f. 180), le reste de la composition ayant été achevé par Willem Vrelant. L’idée a été reprise par Frédéric Lyna, et poussée plus loin puisqu’il a suggéré que Vrelant, sous la direction de Le Tavernier, dut s’inspirer, pour d’autres miniatures, des esquisses de l’Audenardais. Victor Leroquais en a apporté un exemple concret en comparant la Résurrection du bréviaire à celle du Livre d’heures de Philippe le Bon de La Haye (KB, ms. 76 F 2, f. 33). Ce rapprochement ainsi que la thèse de Winkler emportent l’adhésion. Un examen attentif de la Résurrection montre en effet que ses arbres palmés, aux frondaisons striées de petits traits blancs, jaunes ou gris, n’ont rien à voir avec ceux sans relief de Vrelant. En revanche, ils se retrouvent presque à l’identique dans la Nativité exposée ici. La confrontation de la Résurrection de Bruxelles avec celle des Heures de La Haye permet en outre d’affirmer que l’ensemble du paysage est de la main de Le Tavernier. Dans les deux cas, on observe le même clayonnage et la même formation rocheuse érodée mettant à nu des colonnes de pierre délitée. À l’arrière se dessine un paysage urbain ; or un décor similaire accueille la Mise au tombeau de La Haye, au folio 32. L’examen technique, enfin, montre que les personnages de Vrelant sont peints après l’intervention de Le Tavernier, par-dessus le paysage. L’aplat grossier posé entre le Christ et le soldat assoupi de droite est un raccord maladroit de Vrelant : il est placé plus haut que le bout de gazon peint par Le Tavernier à la gauche du Christ et n’en a ni la couleur ni le léger modelé. En outre, la présence d’un ange assis sur la pierre du tombeau, dans une attitude de prière commune aux manuscrits de Bruxelles et de La Haye, accrédite l’idée selon laquelle Vrelant se serait conformé au dessin préparatoire de Le Tavernier.
Faut-il considérer ce travail partagé comme l’indice d’une collaboration étroite entre les deux maîtres ? Nous ne le pensons pas. Il nous semble plutôt que, Le Tavernier n’ayant pu achever l’ensemble du programme enluminé, peut-être en raison de son décès, en 1462, ce serait alors Vrelant qui en aurait repris l’exécution là où son prédécesseur l’avait abandonnée. Il aurait sans doute dû tenir compte de compositions déjà ébauchées sur le parchemin. À cet égard, la miniature de la Résurrection, à moitié achevée, constituerait le point de jonction entre les deux interventions. Il s’agit là pour l’instant d’une hypothèse de travail qui doit encore subir le feu d’un examen de laboratoire : le dessin sous-jacent, s’il peut être observé, devrait pouvoir nous en dire plus.

© Bibliothèque royale de Belgique

  • Date
    vers 1460-1465
  • Lieu
    Pays-Bas méridionaux
  • Auteur(es)
    Jean Le Tavernier, enlumineur
  • Description technique
    Parchemin, 528 f., environ 295 × 215 mm, 6 miniatures à mi-page, 14 de petit format, 8 initiales historiées
    Provenance : Philippe le Bon
  • Provenance

    Bruxelles, KBR, ms. 9511, f. 43 vo

  • Lien permanent
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