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La Mort frappant les puissants

Jacques Legrand, Livre de bonnes mœurs
La Mort frappant les puissants
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Le manuscrit présenté pour la première fois depuis 1906 est une « redécouverte ». Amédée Boinet l’avait décrit dans une publication sur Antoine de Bourgogne et en avait reproduit plusieurs images. Il le signalait dans une collection privée, mais depuis lors sa trace avait été perdue. Le volume fit pourtant partie de la donation Smith-Lesouëf faite à la Bibliothèque nationale en 1913. Publié en 1930, l’inventaire de ce fonds signalait le manuscrit et sa provenance prestigieuse mais, par une bizarrerie historiographique, l’information resta sans écho. Il s’agit pourtant d’une des pièces maîtresses du Maître d’Antoine de Bourgogne qui assuma seul l’intégralité de l’illustration pour son commanditaire éponyme.
Le volume réunit deux traités moraux à grand succès : l’œuvre de vulgarisation d’un théologien prédicateur et prolixe (Legrand) et l’unique ouvrage d’un noble, occupant de hautes fonctions au service de Charles VI (Tignonville). La nature des deux ouvrages détermina l’économie générale de l’illustration. Le premier traité comportait cinq grandes miniatures, une au début de chaque livre, avant qu’une main vandale ne fasse disparaître, de longue date, le premier feuillet du livre 3 (fol. 34). Leurs encadrements ornés présentent les armes d’Antoine de Bourgogne, son emblème (la barbacane) et des phylactères à sa devise (Nul ne sy frotte). Le frontispice avec la chute des anges rebelles met en garde contre le péché d’orgueil (fol. 1v.). L’univers cristallin des cieux, les lueurs sinistres et muables de l’enfer et l’horizon crépusculaire créent une impression visuelle si forte qu’il n’est pas besoin pour le peintre d’insister sur l’apparence démoniaque des anges déchus. Il suffit qu’ils tombent à la renverse vers la fournaise. Parmi les autres leçons propres à frapper l’imagination, on retiendra la Mort flottant dans les airs, enveloppée dans un linceul aux plis bouillonnants, qui frappe de son dard les puissants (fol. 58). L’artiste travailla encore à un autre exemplaire de l’œuvre, réuni au Jeu des échecs moralisé également illustré (Chicago, NL, ms. 55. 5).
Les Dits moraux des philosophes, quant à eux, ont perdu trois feuillets (fol. 71, 73 et 91), notamment leur frontispice. Florilège de propos prêtés aux sages de toutes époques, ce traité offre une succession de petites images consacrées à chaque philosophe. Certains sont en contexte, comme Zabion supplicié (fol. 82), Hippocrate examinant l’urinal d’un patient (fol. 83), Diogène dans son tonneau face à Alexandre (fol. 88). Mais plus généralement, les personnages figurent dans leur étude, seuls ou en groupe, sans jamais inspirer l’ennui car l’artiste veille à varier ses effets, agissant sur la disposition, les formes et la nature du mobilier, modifiant l’exposition des livres et multipliant les poses. Les philosophes lisent ou débattent. Seul chrétien, saint Grégoire est peint sans auréole ni tenue religieuse. Il s’absorbe dans sa lecture, il se penche sur un livre grand ouvert, les avant-bras et les coudes posés à plat sur la table (fol. 140v.). L’exercice de la pensée le fait appartenir à la même fraternité qu’Homère (fol. 80) ou Platon (fol. 101). Les images sont baignées d’une lumière latérale et rasante, presque hivernale, ombrant les sols et les murs, qui semble exalter la vie de l’esprit à travers la couleur des vêtements, leur éclat, leur moire ou leurs reflets.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    Vers 1465 - 1475
  • Lieu
    Bruges
  • Auteur(es)
    Le Maître d’Antoine de Bourgogne, enlumineur
  • Description technique
    Parchemin, 182 + I fol., environ 343 × 259 mm, 25 miniatures
    Provenance : Antoine de Bourgogne
  • Provenance

    Paris, Bibliothèque nationale de France, Mss, Smith-Lesouëf 73, fol. 58

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1242003445