Les hérauts d’armes célèbrent la victoire de Louis et profèrent sa devise « Gavres au chappelet ! »

« Ceste histoire a esté translatee de grec en latin, et du latin en flamenc ; depuis a esté transmuee en langaige franchois, le desrain jour de mars l’an mil CCCCLVI ». Dans cette phrase qui clôt le volume (fol. 244v.) tout est faux, sauf la date de la transcription. L’ancienneté du modèle et l’enchaînement des traductions sont d’ailleurs démentis par le prologue qui prétend que l’ouvrage serait une traduction de l’italien (fol. 1). Ces affirmations, parce que contradictoires, sont des fictions qui s’affichent comme telles. L’auteur joue avec son lecteur, multiplie les fausses pistes et efface les traces de ses pas qui nous mèneraient sinon au Roman de Florimont, une mise en prose illustrée par le même artiste (Paris, BnF, Mss, Français 12566). Louis de Gavre, héros de notre histoire, est entouré de nombreux comparses qui le suivent et participent à ses exploits. Ils sont tous les doubles de personnages du Roman de Florimont dont l’antériorité est certaine. Les rôles sont distribués sous d’autres noms.
L’initiale de la première page (fol. 1) comporte les armoiries de Jean bâtard de Wavrin, bibliophile lillois et, selon toute vraisemblance, l’instigateur, voire l’auteur de ce roman qui le valorise doublement, à travers ses ascendants et l’identification gratifiante au héros, noble par son comportement, subsidiairement par sa naissance. Le volume ne contient pourtant aucune dédicace, comme l’usage l’appellerait, sans doute parce qu’on ne se dédie pas à soi-même l’œuvre que l’on a produite ou contribué à produire. Le livre figure ensuite en 1467-1469 dans l’inventaire de la bibliothèque de Philippe le Bon comme d’autres manuscrits de même provenance.
Il n’existe qu’un seul autre exemplaire illustré, mais plus tardif et sur parchemin (Cambridge, CCC, ms. 91). Dans cet autre manuscrit, les armoiries aujourd’hui grattées sont celles de William Hastings († 1483) et l’unique miniature, le frontispice, a été peinte par Philippe de Mazerolles. Ce dernier a retenu l’épisode de la répudiation, dont il sera à l’instant question, alors que le Maître de Wavrin, illustrant le prologue, privilégie dans notre exemplaire l’image d’un scriptorium où se côtoient autour d’une même table, dans une proximité peu habituelle, un noble et un scribe au travail (fol. 1) : probable allusion à l’auteur dictant sa propre œuvre ou la composant, épaulé d’un aide.
Le nœud de l’histoire a pour origine un malentendu, une plaisanterie malheureuse. Alors que son épouse est enceinte depuis peu, Guy de Gavre est appelé pour servir Philippe le Bel. Il ne découvre qu’à son retour son jeune enfant. Sa femme, attendrie par ses manifestations de joie mais se souvenant de sa longue absence, lui dit pour plaisanter qu’il n’aimerait pas autrement cet enfant s’il en était le père. Elle est violemment répudiée et l’enfant chassé avec elle. Celui-ci, Louis, n’aura de cesse de prouver sa valeur pour prouver sa naissance. La vie de chevalier errant qui le mène en Italie, puis en Grèce, lui en offre maintes occasions. Il sauve le duché d’Athènes par les armes, épouse son unique héritière puis, lors d’un tournoi qui se tient à Compiègne, se réconcilie avec son père. Il y exhibe les armoiries de sa lignée pour s’en revendiquer et porte sur son heaume, au lieu d’un cimier majestueux comme certains combattants, un vieux chapeau enfumé, seul bien que son père lui a concédé, auquel il est resté fidèle.