Entre influences flamandes et italiennes
L’influence flamande

Robert II le Pieux à Rome et siège de Melun en 999
Robert II le Pieux à Rome : En visite à Rome, Robert II le Pieux dépose sur l’autel d’une église un phylactère où sont copiées les antiennes qu’il aurait lui-même composées.
Siège de Melun en 999 (sur la droite) : Melun, livrée par trahison à Eudes, comte de Chartres, est assiégée sur ordre du roi par les soldats du duc de Normandie en 999.
Bibliothèque nationale de France
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Tout au long de sa carrière, le génie de Fouquet s’est nourri de l’ars nova des peintres flamands comme il s’est nourri des influences italiennes, en sachant les intégrer subtilement dans un art qui lui est propre.
La connaissance, par Jean Fouquet, des nouveautés flamandes va bien au-delà de la simple assimilation de motifs et de figures véhiculés par des recueils de dessins qui circulaient dans les ateliers d’enluminure.
Fouquet a très certainement largement profité de la présence, dans les lieux où il est amené à travailler, des peintres du Nord. Mais la chimie des ingrédients qui constituent le génie original de Fouquet reste insaisissable, tant la voie qu’il adopte est personnelle, tant il fait son miel de ce qu’il voit chez les autres, tout en absorbant totalement ces apports. Il ne fait cependant pas de doute que le regard du peintre de Tours s’est attardé sur les œuvres des peintres flamands.
Les effets de lumière

La Vierge et l’Enfant entourés d’anges
Fouquet a ici représenté la Vierge sous les traits d’Agnès Sorel. La Vierge d’Anvers, à la carnation d’une extrême pâleur, entourée d’anges rouges et bleus (des chérubins et des séraphins), se détache de façon frontale d’un fond bleu abstrait.
Les diverses composantes du tableau sont visiblement régies par un canevas géométrique précis, dont les lignes de force sont apparentes dans la forme triangulaire du groupe central, bien soulignée à gauche par la ligne oblique du manteau. La frontalité de la composition est soulignée par l’écran rigoureusement parallèle au plan de l’image que constitue le trône, mais aussi par la disposition de trois des chérubins, l’un d’eux, au-dessus de l’Enfant, regardant droit vers le spectateur, tandis qu’un autre, au premier plan à gauche, est représenté strictement de profil. Seule dans cette composition, qui pourrait se suffire à elle-même, l’attitude de l’Enfant, imperceptiblement tourné vers la gauche et l’index de la main gauche pointé dans la même direction, suggère l’existence d’un pendant. Le puissant contrepoint rouge et bleu des anges, luisant comme des statues de bois peint, fait ressortir la blancheur du groupe central tout en contribuant au caractère visionnaire de la représentation.
On a souligné maintes fois l’espèce d’érotisme glacé dégagé par le volet droit de cet étrange tableau. Le fait que le peintre ait représenté la Vierge sous les traits d’une maîtresse royale a pu choquer. Les mobiles qui ont conduit à ce choix nous échappent encore aujourd’hui. Il fallait qu’ils fussent bien puissants et qu’ils aient eu l’approbation du roi, pour qu’un homme avisé et prudent comme l’était le trésorier de France ait osé braver l’opinion dans un lieu sacré et public en se faisant représenter en prière devant l’effigie de la belle Agnès transformée en Vierge Marie. Car c’est bien Agnès Sorel qu’il faut reconnaître, à n’en pas douter, dans le tableau d’Anvers, cette Agnès dont bien des témoignages du temps ont célébré la beauté et, mieux que la beauté, le charme et l’influence bénéfique qu’elle exerça sur Charles VII. Son grand front dégagé, son nez droit et pointu, sa bouche petite, sa fossette au menton, se retrouvent identiques dans son tombeau de Loches et plus encore dans les portraits dessinés de la « dame de Beauté » qui circulèrent à partir du règne de François Ier.
Le type de la Vierge du diptyque de Melun dut être très tôt célèbre. Le plus souvent, les dérivations suscitées par le panneau d’Anvers ont dû être élaborées à partir de carnets de dessins et peut-être de variantes créées par Fouquet lui-même ou dans son atelier.
© IRPA-KIK, Bruxelles
© IRPA-KIK, Bruxelles
Œuvre complexe, dans laquelle sont subtilement amalgamés des éléments issus de différentes traditions picturales, la Vierge et l’Enfant entourés d’anges ne porte pas seulement la trace des souvenirs récents du voyage de Fouquet en Italie. Un examen rapproché du tableau révèle aussi que l’artiste était attentif aux procédés illusionnistes des peintres flamands les plus novateurs.
Sur deux des boules d’onyx garnissant le fauteuil de Marie se reflète une fenêtre à croisée, un motif que le Maître de Flémalle, Jan Van Eyck, Rogier Van der Weyden et bien d’autres peintres du Nord placent volontiers dans leurs œuvres. Il pourrait ici se rapporter au mystère de la maternité virginale de Marie, assimilée par les théologiens médiévaux à une fenêtre dont les vitres, traversées par les rayons du soleil, restent intactes. Aussi discret soit-il, le reflet de la fenêtre est peut-être aussi un lien visuel entre les deux volets du diptyque d’Étienne Chevalier, dont la conception est radicalement différente. La fenêtre serait alors l’écho de celle qui éclaire la pièce où se tient Étienne Chevalier sur le volet gauche du diptyque.
Ce type particulier de reflet appartient au répertoire habituel des peintres des anciens Pays-Bas.
De plus, l’acuité avec laquelle Fouquet observe et reproduit les effets de la lumière sur la surface de ses anges révèle une véritable familiarité avec la peinture des anciens Pays-Bas. La fenêtre se reflétant sur les montants du trône témoigne d’un semblable intérêt pour les performances illusionnistes des artistes du Nord
L’œil du spectateur
Dans les Grandes Chroniques de France, Fouquet emprunte un motif aux « Primitifs » flamands et le transforme de manière significative. Dans la miniature illustrant le règne de Louis X le Hutin, on aperçoit un petit homme vu de dos, accoudé dans l’embrasure d’un créneau, guidant notre regard vers l’épisode décrit à l’arrière-plan.

Couronnement de Louis VI le Gros
Henri Ier Beauclerc et les envoyés français
Couronnement de Louis VI le Gros
Le 3 août 1108, à Orléans, Louis VI le Gros est couronné par Daimbert, archevêque de Sens, en présence des prélats et des barons du royaume.
Henri Ier Beauclerc et les envoyés français (sur la droite)
En 1109, lors des démêlés au sujet du château de Gisors qui eurent lieu entre Louis VI le Gros et le roi d’Angleterre, Henri Ier Beauclerc, ce dernier reçoit devant sa tente les envoyés du roi de France. La rencontre a lieu à Neaufles-Saint-Martin, au confluent de l’Epte et de la Levrière.
Bibliothèque nationale de France
Henri Ier Beauclerc et les envoyés français |
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La Vierge du chancelier Rolin
Provenance : Collégiale Notre-Dame d'Autun
© Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
© Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
C’est à Jan Van Eyck que revient le mérite de cette trouvaille. Le guetteur apparaît, dans une semblable posture, penché derrière le mur du jardinet de la Vierge du chancelier Rolin et flanqué d’un compagnon. Fouquet a dû être séduit par l’ingénieuse formule d’un personnage relayant en quelque sorte l’œil du spectateur au sein même de l’image. Dans une autre illustration des Grandes Chroniques de France, il inverse le point de vue et montre le même homme de face, totalement indifférent à la cérémonie du couronnement de Louis VI le Gros se déroulant juste derrière lui, absorbé qu’il est par la contemplation des reflets dessinés sur l’eau par une douce lumière vespérale.
L’art de l’illusion

Saint Luc (détail)
Dans les Heures d’Antoine Raguier (?) et de Jean Robertet, la miniature de Saint Luc fournit à Fouquet l’occasion de démontrer sa maîtrise de l’art pratiqué par ses collègues flamands et italiens pour créer l’illusion.
Fixée au mur, derrière l’évangéliste, l’étagère chargée de livres est bien l’une de ces natures mortes qui, du vivant même de Fouquet, suscitaient l’admiration des amateurs de peinture flamande. En 1456, Bartolomeo Fazio décrit celle que Jan Van Eyck avait représentée dans le studiolo du Saint Jérôme figurant sur le triptyque, aujourd’hui disparu, de Battista Lomellino. Pour rappeler que saint Luc était aussi médecin, Fouquet n’a pas omis d’y ajouter ces fioles de verre projetant sur le mur des reflets cristallins, que les peintres du Nord disposaient volontiers dans leurs intérieurs. Immédiatement à côté de l’étagère, une porte ouverte laisse voir le bœuf de saint Luc se tenant de face dans un étroit tunnel de verdure en perspective frontale. Cet élément de pure géométrie albertienne est artificiellement plaqué dans un espace structuré de manière empirique. La confrontation de la nature morte aux livres et aux carafes et de la « boîte optique » n’est pas le fruit du hasard. Fouquet a sans doute voulu montrer que ni les procédés flamands, ni les principes codifiés par les Italiens ne lui étaient étrangers.
Pour ce faire, il a choisi une représentation de Luc, saint patron des peintres, se plaçant dans une perspective inaugurée vers 1435 par Rogier Van der Weyden dans le Saint Luc dessinant le portrait de la Vierge. Le grand artiste flamand s’y est attribué le rôle du peintre évangéliste ayant convoqué Marie pour une séance de pose. Il a ainsi formulé visuellement sa conception de la pratique de la peinture en définissant sa propre place au sein de la tradition picturale des anciens Pays-Bas.
La perspective aérienne

Assassinat de Sigebert Ier et partage du royaume de Clotaire Ier entre ses quatre fils
Partage du royaume de Clotaire Ier entre ses quatre fils : Voulant usurper le pouvoir au détriment de ses frères, Chilpéric s’empare du trésor de son père et s’assure le soutien des grands du royaume. Ses frères, Sigebert, Gontran et Charibert, le surprennent à Paris et font valoir leurs droits. La scène se situe dans l’île de la Cité.
Assassinat de Sigebert Ier (au premier plan) : Lors du siège de Tournai, ville dans laquelle Chilpéric et sa famille se sont réfugiés, un émissaire de Frédégonde transperce la gorge de Sigebert allongé sous sa tente.
© Bibliothèque nationale de France
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Si Fouquet connaît la perspective géométrique définie par Alberti, il ne l’envisage que comme un moyen parmi d’autres pour construire l’espace. En revanche, il rejoint plus volontiers les peintres du Nord par son étonnante maîtrise de la perspective aérienne, des effets atmosphériques et des reflets.
Le petit homme aux bras croisés du Couronnement de Louis VI indique au spectateur que c’est bien la surface de l’eau qu’il faut regarder. À plusieurs reprises, dans les Grandes Chroniques, Fouquet se livre à une représentation illusionniste de l’eau des fossés des châteaux et des villes peuplant ses illustrations. La mise en scène des événements qui suivirent la mort du roi Clotaire dans le logis royal de l’île de la Cité tel qu’il se présentait au 15e siècle lui permet de faire un tableau tout en nuances des reflets dans la Seine des solides formes architecturales du Palais. Fort lisibles au pied de l’enceinte, les contours des murailles et des tours deviennent de plus en plus imprécis à mesure que l’œil s’en éloigne. Au milieu du fleuve, l’image de la surface rosée du pignon de la Salle-sur-l’Eau apparaît floue comme un reflet déjà lointain.
Une telle virtuosité évoque celle de Jan Van Eyck, qui, dans la Vierge du chancelier Rolin, a su rendre sensibles les reflets du paysage et de la ville dans une rivière baignée par la lumière dorée de l’aube naissante. Le rapprochement est d’autant plus frappant que Fouquet semble avoir repris à son compte le procédé eyckien des petites lignes parallèles blanches permettant d’accentuer les qualités réfléchissantes de la surface de l’eau. Pour peindre ses paysages, Jan Van Eyck avait adopté une écriture plus graphique. Les édifices de la cité se déployant derrière le chancelier Rolin agenouillé devant Marie sont décrits avec une extrême minutie et l’on doit suivre les méandres du fleuve jusqu’aux plans les plus éloignés pour rencontrer des églises, des tours et des châteaux plus sommairement agencés.
Observateur attentif de la technique des Flamands, Fouquet en explore les aspects les plus novateurs et leur apporte de féconds prolongements. Toujours dans les Grandes Chroniques, une autre vue de Paris, plus complète cette fois, puisqu’il s’agit d’un panorama de la capitale, a servi de toile de fond à un épisode de l’enfance du roi Dagobert.
La ville, telle qu’on pouvait alors l’apercevoir depuis la colline de Montmartre, apparaît ici dans la lumière à peine voilée d’une journée d’été. Fouquet traduit cette atmosphère légèrement brumeuse grâce à une facture quasi impressionniste. Les grands monuments aux lignes et aux contours estompés, sobrement définis par de légères touches ocre et beiges, dominent la masse des maisons aux toits recouverts de tuiles, un magma de lignes et de points rouges et blancs.

Dagobert Ier réfugié à Saint-Denis
Après avoir coupé, par vengeance, la barbe et les moustaches de son maître Sadragésile, et craignant le courroux de son père, Dagobert Ier se réfugie à Saint-Denis. La protection des saints Denis, Rustique et Éleuthère empêche les sergents du roi Clotaire de pénétrer dans la chapelle des trois martyrs située à quelques lieues de Paris.
© Bibliothèque nationale de France
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Les « portraits » d’architecture

La Descente du Saint-Esprit
Fouquet a resitué l’épisode du Nouveau Testament évoquant la descente du Saint-Esprit sur les fidèles assidus à la prière, dans un paysage parisien. L’assemblée est placée au niveau de l’Hôtel de Nesle depuis un point de vue qui laisse découvrir la partie sud de la cité. À droite, le pont Saint-Michel enjambe le bras de la Seine devant le Petit Châtelet. Viennent ensuite les toitures de l’Hôtel-Dieu et la tour de l’évêché, puis l’imposante façade de Notre-Dame. Devant la cathédrale s’étend le quartier dense de la rue Neuve Notre-Dame, où se pratiquaient les métiers du livre.
© 1984 The Metropolitan Museum of Art
© 1984 The Metropolitan Museum of Art

Le Portement de Croix
Pendant la montée au Calvaire, les soldats réquisitionnent Simon de Cyrène pour aider Jésus à porter sa croix, suivi de la Vierge et de saint Jean. À droite, sainte Véronique, agenouillée et tenant un voile, attend le Christ. En arrière-plan, le paysage parisien est dominé par la Sainte-Chapelle, bâtie pour abriter les reliques de la Passion. Un démon s’échappe des entrailles de Judas qui s’est pendu. Inspirée des mystères, la scène en contrebas montre la fabrication des clous par Hédroit, la femme du forgeron. Dans l’initiale D du cartouche, sainte Véronique présente le voile de la Sainte Face.
© R.-G. Ojeda, RMN / musée Condé, Chantilly
© R.-G. Ojeda, RMN / musée Condé, Chantilly
Dépassant les expériences des Flamands en matière de technique picturale, Fouquet va également plus loin que ces derniers lorsqu’il rend compte avec exactitude de la topographie des villes apparaissant dans ses miniatures.
Avant lui, les peintres du Nord avaient l’habitude d’introduire dans leurs compositions des paysages urbains dont la ressemblance avec les villes des anciens Pays-Bas est purement générique. Dans la Vierge du chancelier Rolin, Jan Van Eyck s’est montré si précis que, depuis le 18e siècle, les historiens et les commentateurs du tableau n’ont eu de cesse de vouloir identifier la prospère cité qui se voit à l’arrière-plan. Aucune de leurs propositions n’a pourtant résisté à la critique. Force est de constater qu’il s’agit d’un site imaginaire, totalement recomposé par l’artiste, notamment à partir d’emprunts à des monuments existants comme, à droite, le clocher de la cathédrale d’Utrecht.
Dans les anciens Pays-Bas, il faut attendre le dernier quart du 15e siècle pour voir apparaître, dans la peinture de chevalet, des portraits de villes. Dominée par son beffroi, Bruges est immédiatement reconnaissable à l’arrière-plan de plusieurs tableaux du Maître de la Légende de sainte Lucie. Ces vues, apparemment fidèles, n’en ont pas moins subi des déformations de la part des artistes flamands, qui se donnent toute latitude pour réunir arbitrairement, sous un même angle, les monuments les plus significatifs de la ville.

Supplice des Amauriciens
Après avoir été jugés au cours d’un concile réuni à Paris en 1210, les disciples d’Amaury de Chartres, livrés à la justice royale, furent brûlés en dehors de Paris, au-delà de la porte des Champeaux. À l’arrière plan, se dresse le gibet royal de Montfaucon.
© Bibliothèque nationale de France
© Bibliothèque nationale de France
Dès les années 1450-1460, Fouquet place dans ses enluminures de véritables portraits d’architecture et en particulier des vues de Paris, qui servent de cadre à de nombreuses miniatures des Heures d’Étienne Chevalier et des Grandes Chroniques de France. Le peintre français prend parfois quelques libertés avec une topographie rigoureusement exacte, comme en témoignent la présence incongrue de la tour de Nesle à la pointe occidentale de l’île de la Cité ou l’absence de la Sainte-Chapelle, dans une illustration des Grandes Chroniques. Ses vues de Paris, observées avec exactitude, sont toutefois des documents précieux pour les historiens de la capitale.
Toutefois, la précision topographique manifestée par Fouquet dans ses portraits de Paris est alliée à une science de la perspective atmosphérique qui apparente son art à celui de ses contemporains flamands, tout en le rattachant à l’un de ses prédécesseurs parisiens, le Maître de Boucicaut, qui, dans le Bréviaire de Châteauroux, a représenté la ville éclairée par « les dernières lueurs du couchant ». Mais c’est en pleine lumière que, dans les Heures Chevalier, au début de l’office de Vêpres des heures du Saint-Esprit, apparaît la magnifique vue de l’île de la Cité depuis la rive gauche. Il ne fait pas de doute que l’artiste s’est lui-même posté sur la terrasse de l’hôtel de Nesle, où se sont assemblés les fidèles en prière, pour y dessiner ce paysage parisien.
Les « portraits » urbains que livre Fouquet dans ses miniatures permettent de mieux comprendre l’admiration suscitée outre-monts par cet artiste venu du Nord. Capable de restituer un cadre familier, celui-ci se démarque des peintres des anciens Pays-Bas, tout en faisant sienne leur maîtrise de la lumière et de la transparence de l’air, qui fait encore davantage ressembler ses paysages dessinés d’après nature à des paysages réels.
L’infuence italienne
Le voyage en Italie
On connaît mal la biographie et le détail de la carrière de Jean Fouquet, qui naquit, pense-t-on, vers 1420 et mourut avant 1480. Ses années de jeunesse et le milieu artistique où il reçut sa formation font l’objet de discussions. Peut-être fréquenta-t-il à ses débuts les ateliers parisiens. Du moins sait-on qu’il fit le voyage d’Italie. Ce séjour apparemment prolongé dans la péninsule le mit en contact avec les artistes les plus novateurs de la Florence des Médicis et marqua profondément son style pictural, où se fondent en une synthèse harmonieuse le réalisme flamand et la rationalité latine.
Un collaborateur de Fra Angelico ?

La Crucifixion
Jésus et les deux larrons, isolés sur un fond de ciel uni, sont tous les trois cloués sur la croix, mais le Christ, à qui on tend l’éponge, a les pieds croisés. Le cercle agité, formé des soldats, de Pilate et du grand prêtre à cheval, nous tourne le dos. Au premier plan, quatre soldats, indifférents et détendus, installés en rectangle, jouent aux dés la robe du Christ. À l’écart de ces deux groupes et repoussée aux limites de l’image, dans une composition pyramidale, la Vierge est affaissée mollement dans les bras de saint Jean, qui tourne ses yeux rougis de larmes vers le Christ.
© R.-G. Ojeda, RMN / musée Condé, Chantilly
© R.-G. Ojeda, RMN / musée Condé, Chantilly
L’analyse des sources italiennes du maître s’est affinée et précisée au fil du temps et les commentateurs ont tendance désormais à mettre l’accent sur les ressemblances, en effet frappantes, de Fouquet à son retour d’Italie, le Fouquet des Heures d’Étienne Chevalier et du diptyque de Melun, avec le peintre dont il semble avoir été le plus proche spirituellement, Fra Angelico.
En 1978, Fiorella Sricchia Santoro avait déjà souligné l’étonnante parenté du saint Étienne de Berlin et du saint François au pied de la Crucifixion, dans la salle capitulaire de San Marco. Elle pousse sa réflexion plus loin et envisage, à la lumière d’éléments nouveaux, l’idée d’une collaboration effective de Fouquet aux entreprises picturales de Fra Angelico à la fin des années 1440. La communauté de conception chez ces deux peintres ressort aussi très clairement de la comparaison établie par Luciano Bellosi entre le groupe du Christ et des deux larrons de la même salle capitulaire de San Marco et la moitié supérieure de la Crucifixion des Heures d’Étienne Chevalier : c’est le même dessin souple et net, précis sans aspérité, le même sentiment caressant des formes et de leur insertion naturelle dans l’espace, la même vision lumineuse.
Les rapports étroits de Fouquet avec le peintre dominicain n’épuisent pas pour autant le chapitre des relations de Fouquet avec la peinture italienne. On trouve bien d’autres traces dans son œuvre de souvenirs stimulants ramenés de son séjour dans la péninsule : qu’il ait vu et admiré certaines créations de Masolino, Masaccio, Domenico Veneziano, Andrea del Castagno, voire d’Uccello et de Filippo Lippi, cela ne fait guère de doute. La question des relations du peintre français avec Piero della Francesca reste en revanche problématique et les affinités que l’on a pu déceler entre ces deux artistes tiennent peut-être, plutôt qu’à une rencontre directe, à une parenté de tempérament renforcée par ce qu’ils avaient retiré l’un et l’autre de leur passage, à peu près contemporain, par les ateliers florentins.
Provenance
Cet article provient du site Fouquet (2003).
Lien permanent
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