Nombre d’or et polygones sont intimement associés à un troisième élément : la perspective. La perspective, écrit White, est "en art, le terme qui désigne tout moyen systématique de représentation d’un univers tridimensionnel sur un plan bidimensionnel". |
La perspective, fille de géométrie
|
Jusqu’au XVe siècle, la perspectiva naturalis des Anciens avait fait place à la perspective hiérarchique, c’est-à-dire inversée, la taille des éléments d’une composition dépendant de leur importance quelle que soit leur position dans la scène. Même si certains artistes ont montré un souci de l’espace ou du rendu des volumes, se rapprochant ainsi à des degrés divers de l’héritage antique, l’agencement des plans est rarement cohérent et les points de fuite sont multiples. À l’époque de Fouquet, sous l’influence des artistes flamands, la construction bifocale ou perspectiva cornuta dénote une recherche du développement de l’espace, le champ de vision gagnant en profondeur grâce à ce procédé. Concurremment, la perspective curvilinéaire vise le même but. Le dégradé des couleurs dans les plans lointains de certains paysages annonce la perspective atmosphérique que développera Léonard de Vinci. Toutes ces tentatives appartiennent au domaine de l’empirisme, sans liens directs avec l’univers des sciences. Le côté systématique que souligne la définition de White laisse entendre que, pour d’aucuns, il s’agirait d’une science appartenant davantage à la géométrie et à l’optique qu’à la conception artistique. Pour reprendre le langage poétique de Dante, Perspective est la servante de Géométrie, "qui a la blancheur du lis, immaculée de toute erreur, d’une exactitude absolue". |
La perspective en peinture
|
![]() |
De l’univers de la physique et des mathématiques, la perspective passa à celui des arts avec les travaux de Brunelleschi et les traités d’Alberti et d'il Filarete pour s’ancrer plus profondément dans le domaine de la peinture, à la fin du siècle, avec le De prospectiva pingendi de Piero della Francesca. Toutefois, c’est avec l’esprit rigoureux d’un scientifique, bien qu’il s’en défende, qu’Alberti composa son De pictura en 1435, une dizaine d’années avant que Fouquet ne vienne en Italie. Il y a de fortes probabilités pour qu’Alberti, vivant dans l’entourage du souverain pontife et ami d'il Filarete, ait rencontré l’artiste tourangeau. Qu’est-il resté de ces contacts italiens, tant avec les personnes qu’avec les œuvres, dans la manière dont Fouquet a traité la perspective à son retour en France ? Il est probable qu’il ramena de son séjour en Italie la connaissance d’une méthode, appliquée parfois, sans renoncer pour autant aux procédés qui lui étaient familiers. |
Fouquet et la leçon italienne
| |
![]() ![]() |
On peut considérer que la scène de l’Annonciation des Heures d’Étienne Chevalier, avec sa vue frontale et le personnage central de Moïse, symbole de l’Ancienne Loi, servant de point de fuite, met en pratique la leçon italienne. Le Mariage de la Vierge tiré du même ouvrage traduit une influence semblable. Si l’action est un peu décalée sur la gauche pour se confondre avec l’axe doré, le cadre architectural de l’arrière-plan est traité en perspective frontale depuis un point de vue légèrement plus bas que le niveau du sol ; sa structure et son mode de perspective semblent contenir une réminiscence de la Trinité peinte entre 1425 et 1427 par Masaccio à Santa Maria Novella, fresque que l’artiste tourangeau dut vraisemblablement voir à Florence pendant son séjour italien. Parmi les paysages, l’image de Pompée avec le point de fuite placé presque derrière le héros apparaît comme l’application d’un principe que Masaccio a employé pour rehausser l’importance d’un sujet : la juxtaposition du point de fuite et du sujet fait que les lignes de fuite convergent vers ce dernier, guidant le regard vers l’endroit ou l’objet que l’artiste a voulu mettre en évidence. Avec son point de fuite unique, placé sur le côté gauche de la scène, la ligne d’horizon se trouvant légèrement au-dessus du niveau de la section dorée, La Clémence de Cyrus se rattache au mode de construction albertien. |