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Entrepris au début du XVe siècle,
le manuscrit des Antiquités judaïques est constitué
de deux volumes (Paris, BnF, mss. Fr. 247 et NAF 21013). La
copie du texte ainsi que les deuxième et troisième miniatures
du premier volume ont été exécutées pour le
duc Jean de Berry. Inachevé à la mort du duc, le manuscrit
passa par héritage à son petit-fils Bernard cadet d’Armagnac,
comte de Pardiac, qui fit faire vers 1420 la miniature frontispice. Son
fils Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, confia à Fouquet
le soin d’y peindre les grandes miniatures restantes et d’y
retoucher au frontispice ses propres emblèmes. Lors de l’arrestation
du duc de Nemours à Carlat en 1476, le premier volume devait passer
à Pierre de Beaujeu. Celui-ci, devenu duc de Bourbon en 1488, fit
apposer en dernière page, par son secrétaire François
Robertet, son ex-libris, attestation de propriété accompagnée
de l’indication du nom de l’artiste : "En ce livre
a douze ystoires, les troys premieres de l’enlumineur du duc Jehan
de Berry et les neuf de la main du bon paintre et enlumineur du roi Loys
XIe, Jehan Foucquet, natif de Tours."
On date généralement ces peintures de la fin de la carrière
de l’artiste, vers 1465-1475. Il est d'ailleurs probable qu'il en
ait surtout supervisé l'exécution, confiant le travail à
ses proches collaborateurs dont ses fils faisaient partie.
La miniature du folio 163 représente la construction du Temple
de Jérusalem ordonnée par Salomon.
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Le contexte
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Les Antiquités judaïques de l’écrivain
juif Flavius Josèphe (37-90) retracent, en vingt livres, l’histoire
de la nation juive, depuis la Genèse jusqu’en l’an 66
de notre ère.
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Au chapitre II du livre VIII des antiquités
Judaïques est relatée la construction du Temple de Jérusalem
par le roi Salomon :
" …le roi Salomon commença à bâtir le
Temple en la quatrième année de son règne ; et au
second mois que les Macédoniens nomment Arthemisius et les Hébreux
Jar (qui est le mois d’avril), cinq cent quatre-vingt-douze ans
depuis la sortie d’Égypte, mille vingt ans après
qu’Abraham fut sorti de Mésopotamie pour venir en la terre
de Chanaan, mille quatre cent quarante après le déluge,
et trois mille cent deux ans depuis la création du monde…
Les fondations du Temple furent faites très profondes et, afin
qu’elles pussent résister à toutes les injures du
temps et soutenir sans s’ébranler cette grande masse que
l’on devait construire dessus, les pierres dont on les remplit
étaient si grandes que cet ouvrage n’était pas moins
digne d’admiration que ces superbes ornements et ces enrichissements
merveilleux auxquels il devait servir de base, et toutes les pierres
que l’on employa depuis les fondements jusqu’à la
couverture étaient fort blanches… Toute la structure de
ce superbe édifice était de pierres si polies et tellement
jointes qu’on ne pouvait en apercevoir les liaisons ; mais il semblait
que la nature les eût formées de la sorte d’une seule
pièce, sans que l’art ni les instruments dont les excellents
maîtres se servent pour embellir leurs ouvrages y eussent contribué
en rien."
Ce chapitre fait référence à un épisode biblique
relaté dans le premier Le
livre des Rois. |
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La composition
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Les Antiquités judaïques
furent considérées comme texte sacré de l’histoire
sainte jusqu’au XIIe siècle. C’est
après une éclipse de deux siècles que le goût
des bibliophiles du XVe siècle pour l’histoire
ancienne et les auteurs classiques les retirèrent de l'oubli. L’absence
d’une tradition iconographique continue sur le sujet laissait le
champ libre à Fouquet pour de nouvelles créations. Le peintre
a alors replacé cette scène de construction à sa
propre époque, se référant à ce qu'il connaissait :
le chantier d’une cathédrale.
L’espace est occupé aux trois quarts sur la droite par la
masse imposante du Temple. Dans le quart gauche de la peinture, le palais
royal, reconnaissable à sa bannière fleurdelisée,
lui fait face. Un groupe d'hommes monte l'escalier pour venir contempler
l'édifice depuis les appartements de Salomon.
L’utilisation
du nombre d’or, appelé aussi "divine proportion",
permet à Fouquet de mettre en valeur l’événement
et ses principaux acteurs. Ainsi la loggia, d’où Salomon
désigne le Temple à un visiteur, se trouve dans la section
dorée des longs côtés de la peinture, de même
que le personnage à la fenêtre de gauche, qui semble surveiller
les tailleurs de pierres qui s'affairent dans la partie inférieure
de la peinture. Sur la droite, une procession de fidèles, porteurs
de cierges et d'offrandes, se dirige vers le portail. |
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Le Temple
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Sous le pinceau de Fouquet ou de l'un
de ses émules, le Temple de Salomon est devenu un merveilleux édifice
gothique. En effet, l'artiste s'est inspiré des façades
des cathédrales dont il reprend la structure et le décor.
Le premier niveau, englobant les portails et leurs gâbles, constitue
la partie achevée de la construction. Le second est une galerie
d'arcatures aveugles surmontée d'une corniche au-delà de
laquelle les ouvriers commencent à poser les pierres de la coupole.
Il s'agit bien d'une coupole comme en témoigne la peinture ouvrant
le livre X (fol. 213v.) où l'on voit le Temple achevé.
Comme une cathédrale, il est garni de statues-colonnes dans les
ébrasements et au trumeau des portails, ainsi que de personnages
sculptés occupant les voussures et les arcatures scandées
par les pinacles, les gâbles et les rosaces. Le pourtour de la corniche
supérieure est décoré en partie d’une bordure
de fleurs de lis. Deux rosaces occupent le centre de la façade
de droite dont le revêtement doré est en cours d'achèvement.
En revanche, le plan n'est pas celui d'une église gothique, il
s'inspire directement de la Bible
(I Rois, VI, 1-22) qui elle aussi décrit la construction du
Temple de Salomon mais d'une manière plus détaillée
que l'historien Flavius Josèphe. Au sein du texte biblique, Fouquet
opère encore une sélection pour ne s'attacher qu'au plan
du sanctuaire, le Debir, qui était de forme carrée. C'est
probablement le sens symbolique du carré que l'artiste a voulu
mettre en évidence. |
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Le chantier
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Sur le devant de la scène, sans
se laisser distraire par le va-et-vient des visiteurs, les acteurs principaux,
les ouvriers, s’activent à la préparation des matériaux
que leurs compagnons réceptionnent en haut de l’édifice
grâce à l’instrument de levage, la roue.
L’auteur indique clairement que pour la construction du Temple
"avant d’amener les pierres… [les ouvriers] les taillaient
sur la montagne". Fouquet représente l'étape où
les matériaux sont à pied d'œuvre, ce qui lui permet
de donner une vue d'ensemble d'un chantier de cathédrale et d'offrir
un témoignage contemporain des modes de construction.
Les princes et les puissants ont toujours tiré gloire de leur
activité de bâtisseur. Des ouvrages historiques comme les
Grandes Chroniques de France ou les Décades de Tite-Live,
ont donné à Fouquet l'occasion de traiter le thème
à plusieurs reprises.
Dans la scène des Antiquités judaïques, au premier
plan, une douzaine d'ouvrier s'activent. À droite, l'un d'entre
eux, aidé de deux commis porteurs d’eau, prépare le
mortier. Viennent ensuite les tailleurs de pierres, deux dégrossissent
les blocs avec des masses, deux travaillent à l'aide d'un ciseau,
l'un creusant une mortaise, l'autre sculptant un bloc, auprès d'un
compagnon parachevant une moulure à l’aide de son pic. Un
imagier a posé près de lui marteau, ciseau et gouge pour
prendre, à l’aide d'un compas, une mesure sur la statue qu'il
ébauche. Un aide soulève péniblement un tambour de
colonne prêt à la pose. Deux portefaix emportent sur un brancard
une pierre. Des ouvriers, hotte sur le dos ou seau sur l’épaule,
entrent et sortent du Temple par les portails à deux entrées,
apportant le matériel nécessaire aux travaux dans l’œuvre.
L'un d'entre eux a la tête protégée par un capuchon.
Sur un échafaudage, le long de la façade de droite entre
les rosaces, on aperçoit les silhouettes de peintres terminant
le revêtement doré. |
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Ces ouvriers apparaissent en pleine
activité, comme sur le chantier d’Aix-la-Chapelle dans les
Grandes Chroniques de France (Paris, BnF, ms. fr. 6465, fol. 96).
Dans cette peinture, Fouquet a représenté l’empereur
Charlemagne qui, avec beaucoup de fierté, montre à quelques
proches l'avancement des travaux de son palais dont les maçons
élèvent les murs.
Installée au sommet du Temple, une roue met en mouvement une poulie,
invisible sur la peinture, qui a permis l’élévation
du bloc de pierre que plusieurs ouvriers hissent sur le rebord du toit,
pendant que l’un d’entre eux commande la manœuvre de
relâchement. Tout aussi impressionnante est la roue, actionnée
par des hommes, figurant sur le frontispice des Décades
de Tite-Live (Paris, BnF, ms. fr. 20071, fol. V). Dans cette dernière
composition, l’artiste a su donner l’importance qui leur revenait
aux ouvriers chez qui l’on retrouve l’aplomb des corps et
l’exactitude des gestes professionnels. |
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En écho à la construction
du Temple de Jérusalem, la représentation de sa destruction
par Nabuchodonosor (en 604 av. J.-C.) à laquelle nous avons déjà
fait allusion (Paris, BnF, ms. fr. 247, fol. 213v.) redonne une perspective
du même site mais un peu plus éloignée. On y voit,
malgré l'incendie, devant le palais royal, l’édifice
entièrement achevé, doré, entouré de son parvis.
Les flammes rappellent le caractère éphémère
de tout ce qui est conçu et bâti par l’homme. Ce Temple
sacré, magnifique, n’est qu’une représentation
temporelle de l’alliance de Yahvé et d’un peuple. Construit
par l’homme, détruit par l’homme, il est l’image
de l’éternel recommencement de l’action mue par la
foi et le doute. |