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Le meilleur chrétien fait le meilleur prince.
Un saint ne peut donc qu'être un roi parfait. Cette image gênera
parfois ses successeurs car nobles et ecclésiastiques font de Louis IX
le porte-drapeau de leurs aspirations et le saint roi devient pour la
monarchie un modèle politique plus gênant qu'utile. Si on
admet couramment que saint Louis a bien gouverné, si on loue son
activité législative, notamment sa grande ordonnance de
réforme de 1254, si on admire son sens de la justice : la
justice royale est efficace et le public la préfère aux
justices seigneuriales et ecclésiastiques; en revanche, bien des
aspects de saint Louis gênent. À cause de sa réforme
monétaire de 1266, on le tient pour le garant de la stabilité
monétaire et à chaque dévaluation ses malheureux
successeurs se voient maudits par le rappel de son souvenir. Les deniers
frappés en son temps servent de talismans protecteurs et sont jusqu'au
XVIIe siècle utilisés couramment
contre les fièvres, perpétuant la mémoire du "bon
temps de Monseigneur saint Louis ". En ce temps béni, les
impôts n'existaient pas et le roi vivait sagement de son domaine
sans tondre ses sujets. Cette image est en partie fausse, mais la pression
fiscale ayant fortement augmenté après 1280, le règne
de saint Louis apparaît par contrecoup comme une ère de prospérité
et de fiscalité bien légère. Les parallèles
féroces entre le saint roi et Philippe IV qui a "tant
taillé, tant volé que jamais il ne sera absous" se
multiplient. Jusqu'à la fin du siècle, on célèbre
fréquemment Louis "qui ne prit Louis mais vécut
justement", ou encore le prince qui "ne levait impôt que
par nécessité" après avoir consulté les
États. Patron de la modération fiscale et des libertés
particulières des provinces ou des villes, le saint est une référence
difficile à évoquer pour une monarchie centralisatrice,
dans la gêne financière.
Cela n'empêche pas, bien au contraire, le culte du saint roi de
connaître une faveur réelle à Paris, à Saint-Denis
où il est enterré, à la Sainte-Chapelle où
sa tête enchâssée rivalise avec la couronne d'épines,
dans la ferveur des fidèles et dans les monastères mendiants
de la région parisienne, où sont conservés cilice,
vêtements et psautier royaux et à la collégiale de
Poissy où Louis IX a été baptisé. Saint
Louis n'est cependant que théoriquement patron du royaume, l'image
du saint faisant trop mauvais ménage avec le politique. Ce n'est
que sous Louis XIV que les souvenirs gênants semblent vraiment
oubliés.
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