Saint Louis et les Capétiens

Les règnes de tous les Capétiens qui précédent saint Louis sont en général rapidement traités dans les chroniques. Les débuts de la dynastie sont obscurs, la puissance royale faible. On célèbre Robert le Pieux qui vécut comme un moine, Louis VI qui a lutté contre les barons pillards ou Philippe Auguste vainqueur de l'empereur Otton IV à Bouvines. Mais aucun de ces monarques ne connaît le prestige de Louis IX, mort en 1270 et canonisé dès 1297.

  La nécessité d'un saint roi de France
 

Presque tous les pays européens ont, dès la fin du XIIe siècle, un saint roi protecteur au Paradis. La France ne connaît que saint Charlemagne, plus allemand que français. Ce retard sur les pays voisins devient si obsédant que la plupart des rois de France au début du XIIIe siècle sont candidats à la canonisation : Philippe Auguste sur la tête duquel le chrême a miraculeusement coulé ou Philippe III mort lors d'une "croisade" contre l'Aragon. La place au ciel assure le pouvoir sur terre. Les Capétiens se doivent d'ambitionner une canonisation qui assurera un caractère sacré à leur pouvoir terrestre.
L'image de saint Louis n'est pas rendue avec toute l'impartialité que désirerait l'historien étant donné que trois sur quatre de ses biographies ont été rédigées par des Franciscains (Geoffroy de Beaulieu, Guillaume de Saint-Pathus, Guillaume de Chartres) pour servir à son procès de canonisation. Seules les Mémoires de Jean de Joinville furent rédigées dans une optique différente, aux alentours de 1309, pour l'éducation du futur Louis X.

  Louis modèle du prince chrétien
 

Les textes s'intéressent donc au saint plutôt qu'au roi. Il est le saint mendiant par excellence, tel que le définit le XIIIe siècle. Dès sa naissance, il n'est préoccupé que de Dieu. Sa mère, Blanche de Castille, l'instruit dans les Saintes Écritures et lui montre comment soumettre la chair à l'esprit. Les miniatures le montrent lavant les pieds des pauvres, les servant à table, portant secours aux lépreux. Il se fait remarquer par son humilité, sa charité envers les pauvres et les malades et l'ardeur de sa foi. Louis IX est aussi un croisé, engagé à deux reprises, en 1248-1254 et en 1270, avec un succès très relatif : il est fait prisonnier à la Mansourah en 1250 et meurt de dysenterie en 1270 devant Tunis.

 

Mais ces échecs en ce monde sont aux yeux des contemporains une preuve de mérite pour l'autre. Le roi malade guérit miraculeusement après avoir prononcé son vœu de croisade. Lorsqu'il est capturé, nombre de saints personnages en reçoivent l'annonce en songe. Dans sa prison, son bréviaire, volé par un Sarrasin, est miraculeusement retrouvé et lui est rapporté par un ange. Ce livre devient la relique la plus célèbre du couvent parisien de Saint-Marcel.
Saint Louis est présenté comme un modèle de comportement chrétien proposé aux grands et aux nobles à qui il enseigne comment obtenir le salut en respectant l'Église et ses commandements, en faisant l'aumône et en partant en croisade.
Mais la vision présentée est uniquement religieuse. Textes et enluminures ne s'intéressent guère à l'action royale. L'échec des croisades, le coût énorme de la rançon, ne sont pas évoqués.

Un modèle gênant pour ses successeurs


 

Le meilleur chrétien fait le meilleur prince. Un saint ne peut donc qu'être un roi parfait. Cette image gênera parfois ses successeurs car nobles et ecclésiastiques font de Louis IX le porte-drapeau de leurs aspirations et le saint roi devient pour la monarchie un modèle politique plus gênant qu'utile. Si on admet couramment que saint Louis a bien gouverné, si on loue son activité législative, notamment sa grande ordonnance de réforme de 1254, si on admire son sens de la justice : la justice royale est efficace et le public la préfère aux justices seigneuriales et ecclésiastiques; en revanche, bien des aspects de saint Louis gênent. À cause de sa réforme monétaire de 1266, on le tient pour le garant de la stabilité monétaire et à chaque dévaluation ses malheureux successeurs se voient maudits par le rappel de son souvenir. Les deniers frappés en son temps servent de talismans protecteurs et sont jusqu'au XVIIe siècle utilisés couramment contre les fièvres, perpétuant la mémoire du "bon temps de Monseigneur saint Louis ". En ce temps béni, les impôts n'existaient pas et le roi vivait sagement de son domaine sans tondre ses sujets. Cette image est en partie fausse, mais la pression fiscale ayant fortement augmenté après 1280, le règne de saint Louis apparaît par contrecoup comme une ère de prospérité et de fiscalité bien légère. Les parallèles féroces entre le saint roi et Philippe IV qui a "tant taillé, tant volé que jamais il ne sera absous" se multiplient. Jusqu'à la fin du siècle, on célèbre fréquemment Louis "qui ne prit Louis mais vécut justement", ou encore le prince qui "ne levait impôt que par nécessité" après avoir consulté les États. Patron de la modération fiscale et des libertés particulières des provinces ou des villes, le saint est une référence difficile à évoquer pour une monarchie centralisatrice, dans la gêne financière.
Cela n'empêche pas, bien au contraire, le culte du saint roi de connaître une faveur réelle à Paris, à Saint-Denis où il est enterré, à la Sainte-Chapelle où sa tête enchâssée rivalise avec la couronne d'épines, dans la ferveur des fidèles et dans les monastères mendiants de la région parisienne, où sont conservés cilice, vêtements et psautier royaux et à la collégiale de Poissy où Louis IX a été baptisé. Saint Louis n'est cependant que théoriquement patron du royaume, l'image du saint faisant trop mauvais ménage avec le politique. Ce n'est que sous Louis XIV que les souvenirs gênants semblent vraiment oubliés.