L'évolution du paysage




Tout au long des XIIIe et XIVe siècles, la composition, organisée jusque-là sur une surface plate sans profondeur aucune, où les personnages agissent sur le plan pictural et communiquent à l'intérieur de leur espace, se modifie et s'ouvre au spectateur. De même la forme, le modelé, les proportions tendent-ils à exprimer, non plus l'idée que l'on se fait des objets, mais l'aspect sous lequel on les voit. Les éléments du paysage, le sol, la terre labourée, les champs cultivés, les arbres, les rochers, les lointains, les constructions ne sont plus seulement pensés mais observés. Dès la fin du XIIIe siècle, Jean de Meun, l'auteur qui termine le Roman de la Rose, écrit : "A genoux est devant la nature... Qui d'ensuivre la (de la copier) moult s'efforce Et la contrefait comme singes." Le carnet de croquis apparaît. La nature devient un sujet d'observation, et n'est plus un répertoire de formes symboliques. Au XIVe siècle, de nombreux épisodes religieux sont traités comme des scènes de la vie quotidienne. L'espace et le temps absolus sont remis en cause. On distingue un univers divin et un univers terrestre.
Vers la fin du siècle et tout au long du XVe siècle, les fonds s'abaissent et laissent place au ciel et à l'air ; les lointains se creusent. Puis l'horizon s'éloigne, donnant une impression d'infini par l'emploi de tons de plus en plus nuancés, de coloris de plus en plus délayés au fur et à mesure que l'on pénètre dans la composition ; car le spectateur entre enfin dans la composition. Les lointains aériens et bleutés accentuent l'impression d'immensité. La lumière uniformise l'ensemble et, à la fin du XVe siècle la vision juxtaposée des éléments de paysage fait place à une vision globale. Les impressions d'atmosphère, de saisons, d'heures se manifestent au XIIIe et surtout au XIVe  siècle : premiers paysages de neige, première pluie, effets nocturnes, rayons de soleil, ombres portées et même un paysage topographique, comme était déjà apparu au XIVe siècle un paysage panoramique. Les miniatures reflètent cette transformation fondamentale des rapports entre l'homme et son milieu. On découvre les conceptions nouvelles de l'espace, de la nature, de l'activité humaine. Du nord au sud de l'Europe, en même temps mais d'une manière différente, cette mutation culturelle se manifeste également dans les fresques et les tableaux. En Italie, la construction de l'espace sera fondée sur la perspective linéaire ; dans le Nord, l'observation, l'imitation pure de la nature, conduira à une évocation illusionniste de l'espace dont les premières manifestations seront des échappées sur les paysages.
Cette prise de possession de la réalité, à la fin du Moyen Âge, coïncide avec la montée d'une riche bourgeoisie qui bouleverse l'ordre politique économique et social. Et le paysage du XVe siècle, siècle antinomique, riche de contradictions entre deux conceptions du monde, en est le reflet. L'artiste ne sépare pas l'imaginaire du réel. Ses paysages et ses paysans offrent souvent une vision d'une réalité déroutante, imprégnée de merveilleux et d'utopie.