Les temples maçonniques

© Musée de la Franc‑maçonnerie
Temple Johannis Corneloup, aménagé en 1924, au siège du Grand Orient
© Musée de la Franc‑maçonnerie
L’espace social et rituel des francs-maçons, très communément appelé « loge », est qualifié de « temple » depuis le second tiers du 18e siècle. Il est, en France, avec encore quelques interrogations, le produit de l’adaptation d’un modèle de départ britannique, et il n’a cessé depuis d’évoluer dans son décorum avec ses spécificités. Après une période de réunions dans des appartements ou des arrière-salles d’auberge, la nécessité de disposer de locaux propres se fit jour rapidement. Ces « hommes des tavernes » se réunissaient en effet au début du 18e siècle autour de tableaux ou tapis de loge qui fournissaient une image archétypale du temple de Salomon en construction, vécu comme siège de la loge première. Les célèbres gravures dites « Gabanon », à l’orée du milieu du siècle, donnent encore à voir un bel exemple de ce type de pratique. Il est intéressant de constater que pour diverses raisons, dont des difficultés de compréhension, l’acclimatation de ces usages en France amena la généralisation d’une représentation d’emblée assez homogène et déjà un peu différente de ce qui perdurera outre-Manche.
Les temples d'Ancien Régime et impériaux
Les modes de sociabilité et les traditions des édifices religieux n’étant pas les mêmes en Angleterre et en France, et les usages rituels étant également dissemblables, on peut considérer que l’épure du temple maçonnique à la française est déjà bien tracée après 1760, comme le montrent diverses sources, par exemple le rituel du duc de Chartres. Les loges, en terre catholique, ne veulent pas donner l’impression de pratiquer une religion rivale, crypto-protestante. Elles travaillent donc dans un espace aux connotations fraternelles, morales et philosophiques.
Les temples donnent à voir une organisation orientée de l’espace, structuré autour du tableau de loge, au centre, qui sert et servira toujours de modèle et de pivot des circulations. L’usage d’éléments rituels ou cérémoniaux comme les cannes ou les épées se généralise. Divers éléments mobiliers – colonnes Jakin et Boaz à l’entrée, pierres et outils symboliques, plateaux des surveillants, autel de serments – sont visibles, ainsi que des sièges placés le long des murs au nord et au sud, en vis-à-vis (les « colonnes »). Une valorisation croissante de l’orient (surélevé de trois marches, orné de balustres) est déjà bien perceptible – une tendance qui s’amplifie, avec plus de solennité, sous l’Empire, période qui verra également l’ajout de représentations de deltas rayonnants et d’un dais d’azur au-dessus du « siège de Salomon », là où se tient le « vénérable » maître de la loge.

Tableau de la loge d’apprenti
Ce volume ainsi que les dessins qui l’illustrent sont de Nicolas Gatschet de Bellevaux, maçon à la loge La Parfaite Union, à Douai. Cette loge, fondée en 1779, avait le goût des rites et en pratiquait plusieurs dont le – relativement rare en France – rite écossais de Hérédom de Kilwinning. Elle abritait aussi une « académie des sublimes maîtres de l’anneau lumineux », dont faisait partie Nicolas Gatschet.
L’auteur de ces très beaux dessins est donc un membre distingué de la maçonnerie écossaise du début du 19e siècle. Né à Berne en 1736, il était ancien membre du gouvernement suisse et, avant de couronner sa carrière maçonnique à La Parfaite Union de Douai en 1813, il a appartenu à la loge Les Sept Étoiles à Berne (supprimée lors de la Révolution) puis a fondé la Réunion des Cœurs à Vic, en 1811.
Bibliothèque nationale de France
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Le Temple de la loge L’Aménité au Havre
© Musée de la Franc‑maçonnerie
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Les temples de la IIIe République
Cet aménagement du temple, mutatis mutandis, se maintient pendant tout le 19e siècle, avec en général beaucoup moins de faste à partir de la Restauration mais en ajoutant souvent des fresques édifiantes, des voûtes étoilées, des bannières de loge à l’orient, qui font leur apparition un peu avant le milieu du siècle. La disparition progressive sous la IIIe République, en ce qui concerne le rite français alors très majoritaire, des tapis de loge (et des trois colonnettes qui les encadraient), une simplification des rituels, avec des contenus influencés par le positivisme, peuvent être relevés.

Une tenue de loge à la fin du 19e siècle
Marconnis de Nègre est l’auteur d’ouvrages maçonniques et de planches symboliques qui connurent un certain succès dans les loges françaises des années 1850-1860. Celle-ci représente allégoriquement une tenue maçonnique avec les frères répartis sur les deux colonnes sous la présidence du vénérable maître.
Bibliothèque nationale de France
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Après la chute du Second Empire, les temples maçonniques français témoignent de leur engagement républicain par la présence de drapeaux tricolores, de devises Liberté, Égalité, Fraternité et de bustes de Marianne, ces dernières souvent maçonniques. Pendant l’entre-deux-guerres, des initiatives de décoration zodiacale des voûtes, de représentation des luminaires (Soleil à l’est et Lune à l’ouest) et d’entrelacs se font également jour.

Temple de Rodez, aménagement contemporain
© Musée de la Franc‑maçonnerie
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Le grand réaménagement d'après-guerre
Après-guerre, la majorité des sites est dégradée. En quelques décennies, leur réhabilitation puis, à partir des années 1970-1980, la création de nouvelles implantations vont être l’occasion d’un vaste mouvement de réaménagement. Mis à part les cas de préservation d’un patrimoine et contrairement à une idée reçue, les temples ne sont pas le plus souvent restaurés en l’état mais transformés. Les réimpressions des ouvrages du 18e siècle qui divulguaient les usages de la maçonnerie et donnaient à voir des tableaux de loge ainsi que la volonté ritualiste des nouvelles générations vont donner une impulsion croissante à ce mouvement pendant toute la seconde moitié du 20e siècle.

Rituel manuscrit du rite écossais ancien et accepté ouvert à la page du grade d’apprenti
© GLNF
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De plus en plus, l’orient montre une composition tripartite avec la Lune (au nord), le delta rayonnant et le Soleil (au sud) qui polarise fortement le regard et l’aménagement. Une corde à nœuds avec des « lacs d’amour » et une « houppe dentelée » terminale, à l’occident, est désormais présente sur les murs ou du moins figurée. Diverses présences d’un « pavé mosaïque » (damier noir et blanc) sont relevables, ainsi que des grenades sommitales sur les colonnes d’entrée. Plusieurs représentations, comme celles de la planche à tracer et des fenêtres grillagées, sont mises au goût du jour. Des épées sont souvent accrochées aux murs. Des crânes et divers objets rituels (épée flamboyante, truelle) prennent place sur le plateau présidentiel ou en divers lieux. De superbes voûtes étoilées, qui bénéficient de progrès techniques, ornent le plafond et embellissent astucieusement l’espace. Les fresques zodiacales se multiplient. Intéressante innovation : des fils à plomb sont pendus au centre de la loge, à l’aplomb des tapis de loge, qui entament leur retour…