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La franc-maçonnerie et l'islam

Francs-maçons en Égypte
Francs-maçons en Égypte

© Musée de la Franc‑maçonnerie

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L’initiation en nombre important de musulmans commence vers le milieu du 19e siècle et s’accélère au siècle suivant. L’émergence de nouveaux États-nations dans le monde arabe après la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation en Afrique du Nord et la révolution iranienne de 1979 entraînent cependant l’interdiction de la franc-maçonnerie dans de nombreux pays.

Une présence précoce mais limitée dans le monde islamique

La franc-maçonnerie se propage dans le monde musulman quelques années seulement après son apparition en Angleterre (1717), dans les Échelles du Levant, qui abritent des comptoirs commerciaux européens, et dans l’enceinte des fortins britanniques aux Indes. Les obédiences maçonniques les plus représentées sont les Grandes Loges britanniques et les Grands Orients français, suisse et hollandais. Le recrutement des premières loges est limité au milieu européen – négociants, diplomates et militaires. Quelques rares chrétiens orientaux, des parsis et des juifs y adhèrent, mais aucun musulman, quoique quelques-uns parmi ces derniers soient, à titre exceptionnel, reçus maçons en Europe. Les plus anciennes loges sont établies à Fort William (1728), aux Indes, et à Saint-Jean-d’Acre (1734), aujourd’hui Akko, en Israël. Une loge prestigieuse à Constantinople – la seule dans le monde musulman au 18e siècle pour laquelle on possède une liste des membres – rassemble, entre 1766 et 1768, la plupart des grands négociants marseillais en affaires avec l’Empire ottoman. La première interdiction pontificale de l’ordre (1738) est diffusée à Smyrne dès 1745 par les autorités catholiques, en accord avec les Églises grecque et arménienne. Les maçons sont alors considérés comme des sorciers et des magiciens. En 1748, les chrétiens convainquent le sultan ottoman Mahmud II d’interdire l’ordre : ce dernier suspecte les francs-maçons d’agir secrètement contre l’État, à l’aide de leur magie, et également de diffuser le christianisme. L’ordre ne reste pas longtemps inactif et ouvre peu après de nouvelles loges à Istanbul et à Alep. La campagne d’Égypte (1798) voit ensuite la création de loges françaises à Alexandrie et au Caire, et la guerre de Crimée (1853-1856) favorise le renouveau de l’ordre à Smyrne et dans le reste de l’Empire ottoman.

Abd el-Kader, un pont entre l’Orient et l’Occident
Abd el-Kader, un pont entre l’Orient et l’Occident |

Bibliothèque nationale de France

Diplôme du Grand Orient Ottoman, 1909
Diplôme du Grand Orient Ottoman, 1909 |

Bibliothèque nationale de France

L'adhésion des élites musulmanes

L’initiation en nombre important de musulmans commence vers le milieu du 19e siècle et s’accélère au siècle suivant, à Istanbul, à Salonique, au Liban, en Syrie et en Égypte. Leur accueil est plus limité en Inde et en Insulinde (Indonésie, Malaisie) et rare au Maghreb, où la France coloniale estime que les Arabes, encore trop religieux, ne sont pas prêts à accepter les idées françaises de liberté et de progrès.

L’appropriation des idées et des symboles maçonniques par les musulmans est facilitée par les points communs que ces derniers relèvent entre l’ordre et leurs propres sociabilités secrètes, c’est-à-dire certaines confréries soufies (bektachi, melami) et les religions secrètes druze au Liban ou ismaélienne en Inde et à Singapour. Ainsi, d’Istanbul au Caire et jusqu’en Iran et en Indonésie, c’est le terme tariqa (confrérie) qui est choisi comme équivalent à « franc-maçonnerie ». D’autres mots soufis ou issus de la terminologie des corporations de métiers musulmanes sont accueillis dans les traductions arabe, turque, persane et ourdoue des rituels maçonniques. De même, le Coran trouve sa place à côté de la Bible sur l’autel des serments. Les analogies existant entre la franc-maçonnerie et le soufisme expliquent entre autres l’initiation en 1864 de l’émir algérien Abd el-Kader, chef de guerre et soufi, par une loge égyptienne du Grand Orient de France. Celui-ci deviendra la figure emblématique du franc-maçon musulman.

La mythologie révolutionnaire de l’ordre et son caractère libéral, plus que ses aspects ésotériques, attirent les élites musulmanes, qui mettent très vite la maçonnerie au service des mouvements réformistes en lutte contre les pouvoirs autoritaires et les colonialismes, et favorables à des régimes constitutionnels : révolution persane de 1905, révolution turque de 1908, révolution égyptienne de 1919, nationalisme indien, etc.

Une implantation fortement décriée

D’un autre côté, la loge parvient à rassembler, du Maroc à la Malaisie, les membres des familles séparées du christianisme (catholiques, protestants, Grecs et Arméniens orthodoxes) et de l’islam (sunnites, chiites, ismaéliens et druzes) avec les juifs et les parsis, et à faire que tous se reconnaissent comme des frères. Il n’empêche cependant qu’au milieu du 19e siècle la franc-maçonnerie commence à faire l’objet de vives critiques de la part des musulmans littéralistes et radicaux. Les deux premiers ouvrages antimaçonniques sont le Récit d’un rêve, de Pertev Pacha, en turc ottoman (Istanbul, 1872) et la Révélation des secrets de la franc-maçonnerie, de Zahir al-Din, en persan (Lucknow, Inde, 1874). Le Turc Pertev Pacha décrit le rituel d’initiation et soupçonne l’ordre d’être un cheval de Troie du christianisme, avant de railler l’idéal de la fraternité universelle.

Quant à l’Indien Zahir al-Din, il accuse les maçons de pratiquer la magie et d’invoquer les démons, se référant à la tradition islamique qui présente le roi Salomon comme un adepte de la magie plutôt que comme un souverain sage et juste. Par ailleurs, les musulmans font aussi un bon accueil aux critiques européennes de l’ordre qui fustigent son athéisme ; ainsi, Léo Taxil est traduit en ottoman en 1911. Les catholiques orientaux, de leur côté, continuent à combattre les francs-maçons ; les jésuites du Liban en particulier leur livrent une guerre impitoyable au 19e siècle. Le judéo-maçonnisme et la théorie du complot, importés d’Europe, s’imposent surtout au début du 20e siècle dans l’Empire ottoman et en Égypte. Ils se nourrissent d’abord des craintes de voir se constituer un État juif en Palestine. Puis, après la création de l’État d’Israël, les détestations du juif et du franc-maçon sont associées d’une manière durable ; l’ordre est décrit comme une création juive au service du sionisme. Les Protocoles des Sages de Sion sont traduits en arabe en 1921 puis dans plusieurs autres langues de l’islam et diffusés jusqu’en Indonésie. Le terme de « franc-maçon » est également associé à tous les périls qui menacent l’islam : le communisme, l’internationalisme, le socialisme et jusqu’au capitalisme. D’un autre côté, la doctrine maçonnique est apparentée par les sunnites turcs et arabes à une hérésie d’origine ismaélienne, le batinisme, qui veut que les versets du Coran recèlent un sens secret qui l’emporte sur le sens apparent. L’émergence de nouveaux États-nations dans le monde arabe après la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation en Afrique du Nord et la révolution iranienne de 1979 entraînent l’interdiction de la franc-maçonnerie et parfois la persécution de ses membres dans de nombreux pays. Elle disparaît du Maghreb, à l’exception du Maroc, et de l’ensemble du monde arabe, sauf au Liban ; elle est interdite en Iran, au Pakistan et en Indonésie. Avec le Maroc et le Liban, elle se maintient toutefois en Turquie et en Malaisie, et vient récemment d’être introduite en Albanie et dans plusieurs pays musulmans issus de l’ex-Yougoslavie.

Provenance

Cet article provient du site Franc-maçonnerie (2016).

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