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L’anti-maçonnisme

Affiche pour le film Forces occultes
Affiche pour le film Forces occultes

Bibliothèque nationale de France

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Le blâme et l’interdiction de la franc-maçonnerie ont cours dans de nombreuses sociétés. Condamnée par l’Eglise catholique, mais aussi par des mouvements politiques nationalistes et antisémites, l’organisation a connue de réelles persécutions sous des régimes autoritaires. Des accuations de complotisme et d’occultisme qui ont toujours cours de nos jours.

L’assimilation de la maçonnerie à une contre-Église encourage son amalgame avec l’hérésie et le satanisme. Outre l’occultisme, elle est également amalgamée par ses détracteurs au protestantisme, au socialisme et au judaïsme.

L’antimaçonnisme catholique

In eminenti apostolatus specula
In eminenti apostolatus specula |

Bibliothèque nationale de France

L’antimaçonnisme est un courant polémique, apparu en Europe au 18e siècle, ayant pour objet la critique de la franc-maçonnerie. S’il est convenu de faire remonter la franc-maçonnerie à la création, en 1717, de la Grande Loge de Londres, l’antimaçonnisme est pourtant antérieur. Dès 1 698, un tract antimaçonnique circulait à Londres, mettant en garde les chrétiens contre la « secte diabolique ». En 1735, un premier édit interdit les loges dans les Provinces-Unies. Plusieurs États suivent le mouvement. En France, le cardinal de Fleury, Premier ministre de Louis XV, proscrit à son tour, en septembre 1737, la création d’associations, et tout particulièrement de loges. Alerté par ces condamnations des autorités civiles, le Vatican interdit deux ateliers à Florence et à Rome. Huit mois plus tard, le 28 avril 1738, Clément XII publie la première condamnation romaine de la franc-maçonnerie avec la lettre apostolique In eminenti apostolatus specula. Celle-ci, intégralement reprise en 1751 par Benoît XIV dans la constitution apostolique Providas Romanorum pontificum, défend aux fidèles tout rapport avec la franc-maçonnerie sous peine d’excommunication. Les pamphlets antimaçonniques se multiplient durant le siècle avec des auteurs tels que l’abbé Pérau (L’Ordre des francs-maçons trahi et le secret des Mopses révélé, de 1744) ou Louis Travenol (La Désolation des entrepreneurs modernes du temple de Jérusalem ou Nouveau catéchisme des francs-maçons, de 1744). Il convient d’ajouter que les disputes maçonniques publiques entre les tenants d’une maçonnerie d’esprit rationaliste et les maçons spiritualistes, entre partisans et adversaires des hauts grades, ou les débats sur les objectifs politiques des loges contribuent à donner de l’importance à des phénomènes somme toute mineurs, dénués de correspondances effectives dans le vécu quotidien. Cette littérature maçonnique critique vient nourrir les adversaires des loges.

Gabanon parodié
Gabanon parodié |

Bibliothèque nationale de France

Des accusations de subversion

Avec les événements de 1789, la polémique s’appuie sur la réalité des changements politiques, sociaux, religieux et économiques. Dès les débuts de la Révolution, des ouvrages circulent, dénonçant la maçonnerie comme acteur principal de la subversion. En 1 791, le père François Lefranc, eudiste, supérieur du grand séminaire de Coutances, vicaire général du diocèse et future victime des « massacres de Septembre », publie un premier opuscule, Le Voile levé pour les curieux, ou le Secret de la Révolution de France révélé à l’aide de la franc-maçonnerie, suivi un an plus tard de la Conjuration contre la religion catholique et les souverains. Ces ouvrages présentent la Révolution comme résultant d’une conjuration maçonnique dirigée contre l’autel et le trône. Ces révélations sont rapidement reprises par de nombreux auteurs. De tous ces continuateurs, l’abbé Augustin Barruel connut la plus grande postérité avec ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, publiés en 1 797-1798. Au moyen d’une érudition très poussée, d’une connaissance approfondie de la franc-maçonnerie, d’une vaste documentation, d’un recours constant à l’amalgame et à des généralisations abusives, Barruel tend à montrer que derrière les loges connues se cachent les « arrière-loges », véritables instigatrices de la Révolution. C’est en leur sein que les illuminés descendants des Templiers ourdissent leur complot contre les monarchies et l’Église.

Un grand seigneur héroïsé par l’historiographie : le duc d’Antin à la Loge de la Rapée en 1737
Un grand seigneur héroïsé par l’historiographie : le duc d’Antin à la Loge de la Rapée en 1737 |

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1737 : le chef de la police parisienne interdit les réunions de francs-maçons
1737 : le chef de la police parisienne interdit les réunions de francs-maçons |

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1737 : le chef de la police parisienne interdit les réunions de francs-maçons
1737 : le chef de la police parisienne interdit les réunions de francs-maçons |

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1737 : le chef de la police parisienne interdit les réunions de francs-maçons
1737 : le chef de la police parisienne interdit les réunions de francs-maçons |

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Popularisée par l’abbé Barruel, l’idée d’une conspiration maçonnique connaît un succès grandissant durant le 19e siècle. Elle permet d’expliquer les profonds changements qui bouleversent les sociétés européennes, de leur donner une cause, de rendre compréhensible l’inconcevable. L’antimaçonnisme inspire divers mouvements politiques qui se pensent comme de véritables contre-maçonneries reprenant le schéma de l’organisation maçonnique (initiation, grades, rituels, etc.). Les chevaliers de la Foi du comte Ferdinand de Bertier de Sauvigny (1782-1864) en sont l’exemple le plus célèbre. La franc-maçonnerie devient pour les opposants à la Révolution l’incarnation de la guerre contre « le trône et l’autel ». L’Église ne voit plus seulement la maçonnerie comme une association défendant des principes moraux contraires à la doctrine catholique, mais comme une société secrète politique visant à la sécularisation du pouvoir civil et à la destruction de la religion, dans le but supposé de contrôler à son seul profit la destinée des États européens. Rome n’a dès lors de cesse que d’encourager le combat et la propagande antimaçonniques. Dès 1821, le pape Pie VII, dans sa constitution Ecclesiam a Jesu Christo, dénonce la conspiration des loges. Les bouleversements et révolutions qui agitent les États européens deviennent pour le Saint-Siège autant de signes de la main invisible de la franc-maçonnerie. Les mouvements de libération nationale, comme la Jeune Italie de Giuseppe Mazzini ou les groupes révolutionnaires français de 1848 et de la Commune, qui peuvent prendre la forme de réelles sociétés secrètes d’inspiration maçonnique ou en lien avec les loges, viennent favoriser les amalgames et les raccourcis. La progression des idées libérales dans les sociétés européennes et au sein même de l’Église, les outrances d’une propagande anticléricale en plein essor, l’occupation et la perte des États pontificaux…, sont perçus par Rome comme la résultante des attaques d’une contre-Église incarnée dans les loges. Cette assimilation de la maçonnerie à une contre-Église encourage son amalgame avec l’hérésie et le satanisme.

L’anticléricalisme républicain face à l’antimaçonnisme catholique

En France, l’instauration de la IIIe République conduit ses opposants à un regain d’activité antimaçonnique. Si une critique socialiste des loges, somme toute marginale, voit le jour, les plus fervents détracteurs de la franc-maçonnerie se trouvent dans le camp « clérical ». L’âpre anticléricalisme républicain et l’antimaçonnisme échevelé des catholiques se répondent. La politique de laïcisation, qui débouche sur la loi de séparation de 1905, conduit à une vive opposition des catholiques, voyant dans cette entreprise une nouvelle attaque de la franc-maçonnerie, perçue comme une véritable œuvre satanique. Face à elle, l’Église mobilise ses troupes au sein d’associations vouées à la lutte antimaçonnique. Pour la France, Mgr Amand-Joseph Fava lance, en 1 884, avec la bénédiction du Saint-Siège, la revue La Franc-Maçonnerie démasquée, à laquelle est jointe une ligue, le Comité antimaçonnique de Paris, en 1 893. Cet organe donne un large écho aux thèses faisant des francs-maçons des adeptes du diable. L’assimilation, encouragée par Rome avec la promulgation, en 1 873 et 1 884, des encycliques Etsi multa et Humanum genus, rencontre une fortune particulière dans la France des années 1 890, où, suite au succès du roman Là-bas, de J. K. Huysmans (1891), il est à la mode de s’intéresser au satanisme. Dans ce contexte, le mystificateur Léo Taxil, propagandiste anticlérical faussement converti au catholicisme, élabore pour se jouer des catholiques une vaste mystification visant à leur faire croire à l’existence d’une supramaçonnerie sataniste au projet de domination mondiale, le palladisme. Cette « satanisation » s’accompagne d’une mise en relation entre la franc-maçonnerie et les « sciences occultes » qui, si elle existe depuis le 18e siècle, connaît un réel essor.

Un jeu antimaçonnique et caricatural à l’époque du gouvernement Combes
Un jeu antimaçonnique et caricatural à l’époque du gouvernement Combes |

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L’arrivée en France, dans les années 1850, du spiritisme et surtout le développement à partir des années 1880 de groupes occultistes organisés sur le modèle maçonnique et se revendiquant héritiers des kabbalistes, des gnostiques, des templiers… donnent une nouvelle actualité à la thématique. Les occultistes sont non seulement vus comme les maîtres des arrière-loges, mais aussi comme des serviteurs et des adorateurs conscients du démon. Outre l’occultisme, la franc-maçonnerie est également amalgamée par ses détracteurs au protestantisme, au socialisme et au judaïsme. En 1869, le chevalier Gougenot des Mousseaux publie Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, première œuvre française visant à démontrer l’existence d’une collusion judéo-maçonnique. Le gentilhomme fait des juifs les maîtres de la franc-maçonnerie et les instigateurs du « complot maçonnique ». L’émergence en France, au début des années 1 880, de mouvements anti-sémites – ce phénomène agitait déjà depuis plusieurs années l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et plusieurs pays d’Europe orientale – donne une nouvelle actualité à l’idée d’une conspiration judéo-maçonnique. Celle-ci est portée en France par des antimaçons qui ne tardent pas à intégrer une dimension antijuive à leur propagande et par des antisémites qui n’hésitent pas à dénoncer les loges.

Satan et Cie. Association universelle pour la destruction de l’ordre social. Révélations complètes et définitives de tous les secrets de la franc-maçonnerie
Satan et Cie. Association universelle pour la destruction de l’ordre social. Révélations complètes et définitives de tous les secrets de la franc-maçonnerie |

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Une dénonciation plus rationnelle et critique... qui mène aux persécutions

Cet antimaçonnisme foisonnant des années 1880-1890 est mis à mal par la révélation de ses mensonges par Léo Taxil, le 19 avril 1897, produisant un réel séisme au sein de l’antimaçonnisme catholique. Si une minorité poursuit un combat antimaçonnique et antisatanique largement discrédité, la majorité tend à délaisser le merveilleux pour se recentrer sur une dénonciation plus rationnelle et critique des loges. La Franc-Maçonnerie démasquée met ainsi un point d’honneur à ne publier que des textes maçonniques certifiés, abandonne également tout ce qui ne relève pas, selon elle, directement de la franc-maçonnerie, comme la lutte contre les juifs et les occultistes, et tire un trait sur les interprétations satanisantes. Ce recul de l’antimaçonnisme catholique laisse le champ libre à des mouvements politiques non religieux, antisémites et/ou nationalistes, telles la Ligue de la patrie française (LPF) ou l’Action française, qui se lancent dans la critique des loges. L’académicien Jules Lemaître, chantre de la LPF, en affranchissant la lutte contre la franc-maçonnerie de sa dimension catholique et en lui donnant un objectif politique concret, réussit à imposer dans l’espace public une nouvelle forme d’antimaçonnisme, laïque et politique, adaptée à la formule nationaliste et apte à rassembler le plus grand nombre.

Une mystification antimaçonnique
Une mystification antimaçonnique |

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L’Assiette au beurre
L’Assiette au beurre |

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Après la Première Guerre mondiale, l’antimaçonnisme refait son apparition en France. La guerre, la révolution russe d’octobre 1917 ou encore la création de la Société des Nations ne sont pas, pour ses propagandistes, le fruit des hasards de l’histoire, mais celui d’événements médités et organisés de longue date par des puissances occultes, dont au premier chef la franc-maçonnerie. Outre l’Action française et la Fédération nationale catholique du général Castelnau, il convient de souligner le rôle capital de la Revue internationale des sociétés secrètes dans la diffusion des idées antimaçonniques durant les années 1920. Cette revue, fondée en 1912 par Mgr Jouin, curé de Saint-Augustin, jouit, malgré son audience limitée, d’un certain prestige, œuvrant sans relâche à diffuser le combat contre la franc-maçonnerie. Elle est également un lieu de formation pour une nouvelle génération d’auteurs qui se révèle durant les années 1930 et 1940.

À partir de la fin des années 1920, l’antimaçonnisme, porté par de jeunes propagandistes comme Henry Coston, Jacques Ploncard, Léon de Poncins… connaît un regain d’intérêt. La montée en puissance des régimes autoritaires en Europe, qui accordent pour certains une place importante dans leur propagande à la dénonciation maçonnique, la crise économique mondiale suite au krach de 1929 ainsi que, au niveau national, les scandales politiques, l’agitation des ligues d’extrême-droite et la victoire du Front populaire de 1936 sont autant de facteurs explicatifs de ce retour. Les livres, les brochures, les revues et les ligues se multiplient. La lutte s’organise au plus haut niveau, et la question de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes refait son apparition dans les débats du palais Bourbon. En décembre 1935, les députés René Dommange et Xavier Vallat, profitant du projet de loi sur la dissolution des ligues, déposent un amendement et interpellent la Chambre, demandant qu’y soient incluses les associations « clandestines ou secrètes » et plus particulièrement la franc-maçonnerie.

Une loge en camp de concentration, 1945
Une loge en camp de concentration, 1945 |

© Musée de la Franc‑maçonnerie

Les persécutions des régimes autoritaires

En Europe, la victoire des différents régimes autoritaires entraîne les premières persécutions. L’URSS interdit les loges dès 1917 au nom de la lutte contre l’ « idéal petit-bourgeois ». En Italie, Mussolini renouvelle entre 1 923 et 1 924 les condamnations à l’encontre de la franc-maçonnerie. Les salazaristes portugais, dès 1 935, interdisent les loges, et l’Espagne de Franco autorise, en 1939, le pouvoir militaire à exécuter toute personne suspectée d’appartenir à l’ordre. L’Allemagne nazie commence pour sa part à attaquer systématiquement les « frères » en 1935. Après la défaite de 1940, la France se lance elle aussi dans les persécutions. De nombreux propagandistes d’avant-guerre, rejoints par des opportunistes, prêtent main-forte aux autorités en organisant la chasse aux prétendus comploteurs. Des dispositions légales, comme la loi du 13 août 1940 visant à interdire les associations secrètes, sont adoptées, et de nombreux services sont créés pour organiser la traque des juifs, des francs-maçons, des adeptes de mouvements ésotériques… Pas moins de cinq services français travaillent en collaboration avec les autorités allemandes : la Commission spéciale des sociétés secrètes, le Service des sociétés secrètes, le Service des associations dissoutes, le Service des recherches, le Centre d’action et de documentation. La propagande antimaçonnique massive, par le biais de la presse, de la publication d’ouvrages, de films, d’organisation d’expositions, etc., s’accompagne de persécutions.

La une du Matin du 21 août 1940
La une du Matin du 21 août 1940 |

Bibliothèque du Musée de la Franc‑maçonnerie

L’Assiette au beurre
L’Assiette au beurre |

Bibliothèque nationale de France

En zone occupée, les services allemands et français en étroite collaboration pillent les temples et mènent une chasse effrénée aux francs-maçons. La France de Vichy quant à elle procède, entre 1941 et 1942, à l’arrestation des personnalités maçonniques. Un peu plus d’un millier de francs-maçons français sont ainsi morts en déportation ou fusillés.

Malgré ce bilan, l’antimaçonnisme continue de nos jours à se diffuser non seulement au sein des droites radicales mais également dans certains milieux de gauche, ainsi que dans toute une littérature ésotérisante, voire dans certains hebdomadaires généralistes. Il connaît même une nouvelle vigueur dans le monde catholique. Les mobilisations catholiques de 2012 et 2 013 témoignent de sa vivacité. La franc-maçonnerie demeure, de nos jours, l’objet de préjugés « acceptés » et peu combattus.

Au pied du mur, on connaît le « Maçon »
Au pied du mur, on connaît le « Maçon » |

Bibliothèque nationale de France

Provenance

Cet article provient du site Franc-maçonnerie (2016).

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