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Bande dessinée et franc-maçonnerie : Une relation des plus minces

Corto Maltese
Corto Maltese

© 1977 Cong SA, Suisse. "Fable de Venise” de Hugo Pratt paru aux Editions Casterman www. cong-pratt. com - Tous droits réservés

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Hormis chez quelques auteurs-phares, comme Hugo Pratt ou Didier Convart, la franc-maçonnerie semble relativement absente du champ de la bande dessinée. On aperçoit pourtant, au détour d'une case, d'un strip ou d'une page, quelques références historiques, humoristiques ou critiques.

La franc-maçonnerie propose à ses adeptes de passer d’une langue banale à un riche langage symbolique. Elle les confronte à des mystères et légendes issus du grand imaginaire. Pourtant, après bientôt trois siècles d’existence, si le mouvement maçonnique a intégré de nombreux auteurs dans les domaines des sciences humaines, on y trouve peu d’auteurs de fiction, que ce soient des romanciers ou des auteurs de bandes dessinées.

Gaston Bachelard, Carl Gustav Jung, Gilbert Durand… Ces grands amoureux des mythes et des rêves nous l’assurent : romans, nouvelles, bandes dessinées, etc. sortent de l’athanor de l’imaginaire. Des récits au noir, au blanc ou au rouge devraient ainsi fusionner avec l’expression maçonnique, qui, grâce à ses décors, légendes et cérémonies, compose un univers enchanté, propice à stimuler la création chez les initiés. Eh bien non ! Si l’on examine l’histoire des productions maçonniques dans le monde entier, on s’aperçoit que la maçonnerie n’a pas donné de talent à qui n’en avait pas. Quant à l’univers de la bande dessinée maçonnique, on en fera vite le tour.

Faibles bandes d'initiés

Bien sûr, la BD n’est pas aussi vieille que la maçonnerie – à peine plus de cent ans depuis l’Américain Winsor McCay et son génial Little Nemo in Slumberland. Mais tout de même, support d’images, donc de symboles, la BD – après avoir longtemps utilisé la séduction de sa narration graphique pour conter mystères et aventures – est devenue bandes dessinées et romans graphiques, aptes à raconter l’intime comme le fantastique, mais sans étendre son domaine maçonnique, demeuré des plus minces.

Little Nemo in Slumberland
Little Nemo in Slumberland |

© Pierre Horay Éditeur

L'éveil

Si l’on excepte Hugo Pratt, Didier Convard est le seul auteur de BD qui ait consacré une partie importante de son œuvre à l’humanisme et à la franc-maçonnerie, d’abord dans trois séries, Neige, Finkel et Chats, avant de se lancer dans un grand chantier, toujours en cours. Il a créé un personnage de « franc chercheur », le frère Didier Moselle, entouré de compagnons qui sont aussi des « fils de la lumière ». Ils animent le cycle central du Triangle secret, suivi d’INRI et Hertz, et précédé des cinq albums des Gardiens du sang. L’ensemble des vingt et un ouvrages a dépassé le million d’exemplaires vendus de 2000 à 2015. La qualité narrative, documentaire et graphique des ouvrages a assuré la crédibilité des diverses séries. Au-delà des résonances spiritualistes, les récits sont assis sur les fantasmes nichés dans les caves du Vatican, et les codes de lecture penchent du côté du thriller : équipes vaticanes musclées contre brigades maçonniques spéciales ; énigmes, crimes, manipulations, amours, trahisons, découvertes…

Le testament maçonnique d’Hugo Pratt
Le testament maçonnique d’Hugo Pratt |

© Musée de la Franc‑maçonnerie

Plus de lumière !

Le succès des bandes dessinées de Convard a conduit à la création d'une collection « Loge noire » chez Glénat, dédiée à la maçonnerie et à l'occultisme, dirigée par Didier Convard. Était-il trop tôt ? L'ensemble d'une vingtaine de titres ne trouva pas son public. Le seul volume à survivre – il a été réédité chez Vent d'Ouest – fut Une nuit chez Kipling, de Jean-Louis Le Hir, conversations des frères Arthur Conan Doyle et Rudyard Kipling sur les mystères de Londres.

Mode humaniste

Quelques frères de papier affirment leur humanisme. L'un d'eux, dans Le Ponton, chirurgien de marine du siècle des Lumières, évoque un de ses collègues à bord d'un négrier : « […] Je laisse à d'autres le soin de bouleverser le monde comme le philanthrope monsieur de Saint-Quentin, que je soupçonne franc-maçon… »

Ce médecin est rejoint par les héros du Cri du peuple, la série communarde de Tardi, d'après le roman éponyme de Jean Vautrin. Au détour des planches, on découvre le fameux plantage de leurs bannières par les maçons entre les belligérants, et on croise les frères Vallès, Ranvier, Dombrowski, Varlin…

Mode drolatique

Dans Alix Noni-Tengu, le scénariste, Yann Lepennetier, s’est intéressé aux « fils de la lumière » après avoir découvert que les grandes familles européennes de l’histoire de Hong Kong étaient de tradition maçonne. D’où une étonnante séquence dans un temple où l’auteur a affublé ses protagonistes de kilts, car ils travaillent au rite écossais ancien et accepté. Les frères règlent un différend maçonnique à coups d’équerres et de compas et vont jusqu’à reconstituer en « live » l’assassinat de maître Hiram. Ces quelques pages hilarantes sont dans le ton d’une série où tout le monde en prend pour son (haut) grade, les initiés comme les autres.

Mode furtif

Apparition d’une page d’écriture maçonnique au détour d’une affaire de trésor templier dans La Voiture immergée, de Maurice Tillieux.

Mode historique

La série Fraternités est la première à suivre l’histoire maçonnique au travers du destin de publicistes maçons. Elle commence en 1792, dans les tourments de la Révolution et les machinations qui puisent leurs racines dans les secrets de la famille Baudecourt. Mais le journal Fraternités continue de paraître, et une loge du même nom est créée par Gaston Baudecourt, qui y fait initier son fils René. Cet opus révolutionnaire est le premier maillon d’une chaîne qui suivra cette famille d’initiés jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Mode sinistre

Du côté de l'antimaçonnisme, il est impossible de manquer From Hell, le pavé de six cents pages en noir et blanc qui a inspiré le film du même nom. Les deux œuvres sont imprégnées de la fascination exercée par Jack l'éventreur, le célèbre tueur de dames de petite vertu. L'album a été conçu par un scénariste amateur d'ésotérisme de pacotille, connu pour ses superhéros désabusés. Dans le rôle du tueur, l'auteur met en scène William Gull, médecin légiste qui doit sa carrière à son entrée en maçonnerie.

Médecin de la cour, il est chargé de liquider les prostituées, témoins indésirables dans l'affaire de Jack l'Éventreur. Devenu fou, il s'en prend à l'ordre maçonnique et aux juifs.

Mode illuminé

Les tintinologues, souvent atteints du syndrome de Peter Pan, expliquent que des symboles maçonniques seraient entrés chez Tintin grâce à Jacques Van Melkebeke, son principal scénariste occulte, déchu de sa nationalité après la guerre pour collaboration. Hergé et lui, amis du rexisme, n’avaient pu résister et collaborèrent au Soir nazi. Il avait donc peu le profil d’un initié, bien qu’il ait eu l’outrecuidance de l’affirmer tout en ne tarissant pas d’injures sur la maçonnerie. Toujours est-il qu’il n’y a aucun Jacques Alexandre Van Melkebeke, né à Bruxelles en 1904, figurant sur les états des loges du Droit humain belge. Pour le reste, trouver des symboles maçonniques dans les albums de Tintin relève d’une marotte d’illuminés ou de gogos, sur le modèle des chercheurs de trésor à Rennes-le-Château. Hergé ne pouvait donc être que le porteur de symboles ésotériques ou occultistes dans l’esprit du Matin des magicien.