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La bibliothèque italienne de François Ier

Un livre imprimé relié pour la Bibliothèque royale
Un livre imprimé relié pour la Bibliothèque royale

© Bibliothèque nationale de France

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La bibliothèque italienne de François Ier, uniformément reliée par Étienne Roffet, transforme peu à peu l’image d’un prince bibliophile et mécène en une figure de roi humaniste investi dans la défense générale des lettres.

Si François Ier déchiffre sans doute à peine le latin et pas du tout le grec, le souverain maîtrise et apprécie néanmoins une autre langue étrangère : l’italien, communément parlé à sa cour. Des textes dans cette langue font partie des présents qui lui sont faits et des publications qu’il commandite. Ils forment surtout le cœur d’une remarquable collection de livres imprimés que Claude Chappuis, son « libraire de la chambre », lui constitue entre 1538 et 1541 et dont une centaine de volumes sont parvenus jusqu’à nous.

« Avec privilège du roi »
« Avec privilège du roi » |

© Bibliothèque nationale de France

Cette bibliothèque est « italienne » par la provenance des éditions qui la composent (presque toutes vénitiennes et très récentes, la plupart ayant été imprimées après 1530), par la langue des textes (l’italien pour les deux tiers, le latin et un peu de grec pour le reste) et aussi par le style de ses reliures, réalisées cependant en France, car si les livres ont été achetés en Italie, c’est en effet à Paris qu’ils ont été uniformément reliés par un artisan du nom d’Étienne Roffet, au talent déjà apprécié à la cour puisqu’on lui attribue de nombreuses reliures offertes à François Ier à partir de 1530. En 1539, Roffet revendique le titre de « relieur du roi », dont il a probablement été gratifié à l’occasion de cette commande exceptionnelle. Les attributions liées à ce statut restent hypothétiques : en premier lieu, elles recouvrent sans doute la possession et le droit d’utilisation exclusif d’armes royales officielles, qui font leur première apparition sur les volumes de la bibliothèque italienne. Autour de ces armes présentes au centre de chaque plat, la structure du décor est assez semblable pour toutes les reliures, mais Roffet a su proposer de nombreuses variations, conférant à cet ensemble relié d’un austère veau brun foncé, plutôt qu’une simple uniformité, une solennelle unité.

Une collection personnelle chargée d’une ambition nationale

La bibliothèque italienne de François Ier fait date dans l’histoire de la reliure : c’est la première fois que des armoiries sont systématiquement apposées sur les livres d’une collection personnelle. La pratique se généralisera ensuite à partir de la fin du 16e siècle. Cet ensemble constitue aussi une nouvelle image du roi, bien que son caractère privé en ait forcément limité la perception. Ces recueils de poésie, ces romans et récits historiques, reflet des goûts de François Ier, ne devaient guère le quitter, y compris durant ses incessants déplacements.

Allégorie de la Tempérance
Allégorie de la Tempérance |

Bibliothèque nationale de France

Doré sur tranche pour la plus grande gloire du roi
Doré sur tranche pour la plus grande gloire du roi |

© Bibliothèque nationale de France

De fait, bien des caractéristiques de la collection peuvent la désigner comme une bibliothèque « de voyage » : livres légers car sur papier et de petit format, mais avec de solides reliures sur plats de bois, au décor sinon modeste, du moins pas vraiment somptuaire, et surtout présentant une autre innovation : un titre doré horizontalement sur le dos, sans doute pensé pour un classement vertical dans une étagère transportable ou un coffre. Placer l’intégralité de cette collection italienne sous une couvrure aux armes de François Ier témoigne d’une conviction largement partagée par les lettrés français (tel Chappuis), à savoir que le roi doit avoir un rôle essentiel à jouer pour le transfert en France d’une culture dont l’Italie prétend détenir le monopole, et ce d’autant plus qu’il a des revendications sur ce territoire.

L’ordonnance de Montpellier, affirmation d’une vocation universelle

L’exemple de la bibliothèque italienne s’inscrit dans un mouvement général. À partir de 1530, suite à la création unanimement saluée par les savants de charges de lecteurs royaux en langues anciennes, l’image d’un prince bibliophile et mécène de quelques lettrés courtisans se transforme en une figure autrement plus valorisante de roi humaniste investi dans la défense générale des lettres. Dans le cadre de sa relation au(x) livre(s), il importe alors de le représenter moins comme celui qui reçoit que comme celui qui commandite et rassemble afin d’organiser la publication et la transmission du savoir.

Pierre Sala offrant son ouvrage à François Ier
Pierre Sala offrant son ouvrage à François Ier |

© Bibliothèque nationale de France

Cette nouvelle figure se fait omniprésente dans le livre imprimé : aux commandes royales d’éditions et de traductions, ainsi qu’à l’octroi de protections légales, répond dans les préfaces et les privilèges des auteurs et des imprimeurs un discours célébrant François Ier en tant qu’instigateur de la création et de la diffusion de l’œuvre. Démultipliée par l’imprimerie, cette image peut cependant sembler résulter encore davantage de sollicitations de lettrés en quête de valorisation que d’un projet politique conscient de la part de la royauté. La publication d’un privilège n’est en effet en rien une obligation : le faire imprimer, c’est d’abord attirer l’attention sur la faveur qu’on a reçue du roi. Ces actes officiels n’en sont pas moins rédigés par la chancellerie, et leurs préambules, brodant sur le thème de la promotion des lettres civilisatrices, témoignent de l’imprégnation du discours royal par les idéaux des humanistes. Au mitan du règne, le pouvoir semble donc accepter le rôle que ces derniers cherchaient à lui confier depuis 1515, et le livre apparaît bien comme le lieu et le moyen de cette coïncidence.

Norme typographique et proportions du corps humain
Norme typographique et proportions du corps humain |

© Bibliothèque nationale de France

Ainsi, le souhait récurrent de voir le roi regrouper et mettre à la disposition des savants tous les matériaux nécessaires à l’étude est repris par la monarchie. C’est ce qu’atteste la fameuse ordonnance de Montpellier (28 décembre 1537), très souvent – mais abusivement – célébrée comme l’acte de naissance de notre actuel dépôt légal des imprimés, et dont l’importance réside plutôt dans l’avant-propos annonçant le grand dessein d’ « assembler en nostre librairie toutes les euvres dignes d’estre vues qui ont esté ou seront faictes, [pour y avoir recours] sy de fortune [elles] estoient […] perduz de la memoire des hommes ». Dans les dispositions qui suivent ce préambule, on a voulu lire l’obligation faite aux imprimeurs du royaume de donner un exemplaire de chacune de leur publication à la bibliothèque royale du château de Blois. En fait, le roi exige d’eux qu’ils présentent à ses bibliothécaires, avant toute mise en vente, les livres nouvellement imprimés, en France et ailleurs, pour qu’un rapport puisse éventuellement être fait à son Conseil, « affin d’obvier aux meschancetés et erreurs qui se sont pas cy devant imprimées ». Le contexte est donc clairement celui du contrôle des idées, en particulier religieuses, et ce n’est qu’après cet examen et si les livres « sont trouvez dignes d’estre mis en [la] librairie » qu’on en envisage l’achat (et non qu’on en réclame le dépôt).

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