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L’ordonnance de Montpellier

Le début du dépôt légal
Une traduction pour le roi
Une traduction pour le roi

© Bibliothèque nationale de France

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Le 28 décembre 1537, François Ier signe à Montpellier une ordonnance qui oblige tout imprimeur ou éditeur du royaume à présenter un exemplaire de chaque livre de sa production à la Bibliothèque du roi. L’objectif est, d’une part, de repérer les ouvrages dignes de mémoire et, d’autre part, de contrôler la diffusion d’idéologies dissidentes.

Avec cette ordonnance, François Ier signe un acte que la postérité a retenu comme la première version d’une loi encore en vigueur aujourd’hui. Ce « dépôt légal » français serait ainsi remarquable par son ancienneté – il constituerait la première législation de ce type en Europe – et sa continuité – il aurait connu une seule interruption, à la Révolution. Il convient cependant de nuancer cette histoire officielle qui, dans un raccourci glorieux, célèbre en François Ier le créateur de la bibliothèque moderne.

Le roi légifère
Le roi légifère |

© Bibliothèque nationale de France

Nature de l’acte et contexte de sa promulgation

L’ordonnance de Montpellier se classe dans la catégorie des lettres patentes, émises par la chancellerie royale française pour instrumenter les décisions à portée générale et perpétuelle. Le texte s’ouvre ainsi par la traditionnelle et majestueuse suscription ( « Françoys, par la grâce de Dieu roy de France » ), s’adresse « à tous ceux qui ces présentes lettres verront », et se termine par la célèbre clause intentionnelle « car tel est notre plaisir ».

Grand sceau de François Ier
Grand sceau de François Ier |

© Archives nationales

Aucun original de cette ordonnance, validé par le grand sceau royal de cire verte, n’est conservé ; le texte a été transmis par la copie entrée dans les registres du Châtelet de Paris le 7 mars 1538. C’est loin d’être un cas isolé : la chancellerie de François Ier se montre en effet peu efficace pour garder trace des documents qui émanent d’elle. Cette carence est compensée par les cours de justice, comme le Châtelet, qui prennent l’habitude de consigner tous les actes royaux relevant de leur ressort. Il est vrai que la tâche de la chancellerie est rendue très complexe par les déplacements incessants du roi. Il faut imaginer tout un monde de secrétaires et de chauffe-cire lancé à sa suite sur les routes, dressant ses écritures dans des installations de fortune…

Le Catalogue des actes de François Ier, établi en neuf volumes entre 1887 et 1908, rend très bien compte de cette itinérance, ainsi que de l’augmentation considérable de la production d’actes officiels. Ainsi, l’ordonnance dite de Montpellier n’est qu’un des quelque 140 actes signés par le roi dans cette ville durant le séjour qu’il y fait du 21 décembre 1537 au 17 janvier 1538. Parti de Fontainebleau en septembre 1537 et arrivé en Languedoc via Lyon, le Dauphiné et la Provence, le roi est venu surveiller les pourparlers entamés à Leucate avec les émissaires de Charles Quint. La paix sera vraiment conclue au mois de juin 1538, à Nice, et les deux souverains se rencontreront à Aigues-Mortes le 14 juillet de la même année. Après deux années de guerre, François Ier parvient à conserver la Savoie et une partie du Piémont, qui resteront français jusqu’en 1559. Il s’entend aussi avec l’empereur sur une politique de répression de la Réforme, qu’il avait commencé à appliquer après l’affaire des Placards du 18 octobre 1534… tout en n’hésitant pas à s’allier avec le sultan turc Soliman au début de la guerre de 1536 !

L’Hercule gaulois
L’Hercule gaulois |

© Bibliothèque nationale de France

David pénitent
David pénitent |

© Bibliothèque nationale de France

Teneur et pertinence du texte

Le contexte des négociations diplomatiques de 1537-1538 ne doit pas être perdu de vue pour comprendre l’ordonnance de Montpellier, dont il faut néanmoins d’abord retenir l’ambition culturelle, magnifiquement exposée. Le souhait récurrent des savants de voir le roi regrouper et mettre à leur disposition tous les matériaux nécessaires à l’étude semble enfin exaucé : « Nous avons délibéré de faire retirer, mettre et assembler en notre librairie toutes les œuvres dignes d’être vues qui ont été ou seront faites, [pour y avoir recours] si de fortune [elles] étaient […] perdues de la mémoire des hommes. » Dans les dispositions qui suivent, on a voulu lire l’obligation faite aux imprimeurs du royaume de donner un exemplaire de chacune de leur publication à la bibliothèque royale du château de Blois. En fait, le roi exige d’eux qu’ils présentent à ses bibliothécaires, avant toute mise en vente, les livres nouvellement imprimés, en France et ailleurs, pour qu’un rapport puisse éventuellement être fait à son Conseil, « afin d’obvier aux méchancetés et erreurs qui se sont pas ci devant imprimées ». Le contexte est donc clairement celui du contrôle des idées, en particulier religieuses, et ce n’est qu’après cet examen et si les livres « sont trouvés dignes d’être mis en [la] librairie » qu’on en envisage l’achat (et non qu’on en réclame le dépôt).

Reliure en veau brun à décor d’encadrements et fers aux armes de François Ier
Reliure en veau brun à décor d’encadrements et fers aux armes de François Ier |

© Bibliothèque nationale de France

Un second texte, émis à Varennes-sur-Allier le 17 mars 1537, vient préciser l’ordonnance de Montpellier et lève toute ambiguïté sur les préoccupations du roi qui entend « empêche[r] les erreurs et infidèles interprétations déviant de notre sainte foi et religion chrétienne ». Une première loi est également rappelée : sous le choc de l’affaire des Placards, François Ier avait fait interdire le 13 janvier 1535 toute impression de livres, décision annulée quelques jours plus tard mais en conservant le principe de la censure, confiée à une commission du Parlement de Paris. À Varennes, la légitimité de cette commission est réaffirmée face aux gardes de la librairie de Blois qui n’ont pas à se prononcer mais seulement à recevoir les livres concernés… lesquels, dans un tel contexte, ne furent évidemment pas présentés par les libraires ! Les ordonnances de 1537 sont donc bien loin d’organiser le dépôt légal des livres imprimés tel que nous le connaissons aujourd’hui. De fait, la Bibliothèque royale restera longtemps encore essentiellement une collection de manuscrits, jusqu’à ce qu’en 1635 le chancelier Séguier fasse réellement entrer dans les faits la règle de dépôt de la production nationale.

Cependant, même velléitaire et inefficace, l’ordonnance de Montpellier n’en reste pas moins un texte important, démontrant que l’ambition de rassembler toute la mémoire livresque du monde pour la plus grande gloire du royaume de France est à l’œuvre dans l’entourage de François Ier. C’est cette ambition qui nourrit le vaste programme de récolte des sources grecques qui conduira, quelques années plus tard, à l’établissement de la Bibliothèque royale de Fontainebleau, aux origines de l’actuelle Bibliothèque nationale de France. Une bibliothèque qui se pensa donc d’abord universelle avant de s’envisager aussi, et systématiquement, nationale.

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