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Gallimard, un éditeur plus que centenaire

Monogramme de la revue NRF
Monogramme de la revue NRF

© Archives Éditions Gallimard

Le format de l'image est incompatible
Nées en 1911 de la volonté des auteurs de la Nouvelle Revue Française, les éditions Gallimard ont su se tracer un chemin singulier durant tout le 20e siècle. Entre émulation intellectuelle, heures sombres et nouveaux enjeux liés au livre, elles se caractérisent par un attachement sans cesse renouvelé à la qualité des textes, garanti par une forte indépendance.
 

1909-1919 : De la revue aux éditions

La Nouvelle Revue française
La Nouvelle Revue française |

© Archives Éditions Gallimard

Naissance de la NRF et de ses éditions

La maison d'édition de Gallimard est née dans le prolongement de la célèbre Nouvelle Revue Française, dominée par André Gide. Publiée dès 1908, celle-ci, malgré quelques difficultés, a tôt fait de trouver sa légitimité littéraire, offrant chaque mois des contributions de ses fondateurs et d'écrivains proches de leurs préoccupations.

Je suis très intéressé par vos projets de maison d’édition et j’espère qu’il en sortira quelque chose. Toute la question est de savoir si une entreprise commerciale peut vivre en n’éditant que des ouvrages excellents de forme et de fond. 

Paul Claudel à André Gide, Prague, 2 juin 1910

Les Éditions de la Nouvelle Revue française naissent en 1911. Constatant le bon accueil de leur revue, Gide et ses camarades ont souhaité disposer d’une « bibliothèque » à leur main pour y faire publier en volumes certains des textes parus ou à paraître à La NRF, tantôt en feuilleton, tantôt par extraits. Les trois premiers livres des Éditions de la Nouvelle Revue Française (NRF) paraissent en juin 1911 : L’Otage de Paul Claudel, Isabelle d’André Gide et La Mère et l’enfant de Charles-Louis Philippe, bientôt suivis des Éloges de Alexis Leger, futur Saint-John Perse.

Troisième décade de Pontigny
Troisième décade de Pontigny | © Archives Pontigny-Cerisy
Contrat signé entre les Éditions de la Nouvelle Revue française et Paul Claudel pour L’Otage.
Contrat signé entre les Éditions de la Nouvelle Revue française et Paul Claudel pour L’Otage. |

© Archives Éditions Gallimard

Comme ils le font déjà pour la revue, Gide et Jean Schlumberger sont prêts à assumer les frais de la jeune maison d’édition. Mais il faut un homme pour gérer l’affaire : ce sera Gaston Gallimard.

Gaston Gallimard

Gaston Gallimard, au moment où il devient gérant des Éditions de la NRF.
Gaston Gallimard, au moment où il devient gérant des Éditions de la NRF. |

© Archives Éditions Gallimard

André Gide fait la connaissance de Gaston Gallimard en 1906. Le fils de Paul Gallimard, propriétaire du Théâtre des Variétés et collectionneur de toiles impressionnistes, est un fervent lecteur de ses œuvres ; il a, comme lui, des attaches normandes, les Gallimard étant propriétaires du manoir de Bénerville, sur les hauteurs de Deauville.

Gaston a du goût, des relations et, semble-t-il, quelque fortune. C'est un bon parti pour La NRF, d'autant que l'on sent chez lui un désir d'émancipation qui pallie les défauts d'une extraction un peu suspecte vue de la rive gauche de la Seine. Il accepte de prendre la gérance du nouveau comptoir d'édition et signe avec Gide et Schlumberger l'acte qui donne naissance le 31 mai 1911 aux Éditions de la NRF. Le jeune homme prend aussitôt à cœur sa nouvelle charge. Il signe les contrats, négocie avec les imprimeurs, visite les libraires... et contribue largement au financement de l'entreprise. Gaston épouse le 17 décembre 1912 la petite-fille de l'ancien propriétaire des collections et de l'hôtel de Cluny à Paris, Yvonne Redelsperger. De leur union naît en 1914 leur fils unique, Claude Gallimard.

Premières publications

La proximité entre la revue et la maison d'édition est fructueuse. Le catalogue des Éditions s'enrichit d'auteurs de La NRF (Gide, Claudel, Leger, Fargue, Rivière, Larbaud, Suarès, Romains, Bloch…) comme d'écrivains venus directement à elles, à l'image de Drieu la Rochelle ou de l'ami Roger Martin du Gard, l'auteur de Jean Barois, indéfectible trait d'union entre Gide et Gaston Gallimard.

Attentive aux avant-gardes, La NRF ne saurait se réduire à aucune. La maison d’édition ira, à ce titre, plus loin encore que la revue, ne suivant pas celle-ci dans l’abandon des surréalistes, assimilant sans mal les débordements de Cendrars et de Cocteau, les raccourcis de Morand et de Malraux, le savoir-faire de Kessel ou de Simenon. De sorte que l’esprit NRF se rattache premièrement à celui de son fondateur, André Gide, dans ce qu’il a de plus libéral et de moins prévenu.

L’un des épisodes les plus mémorables de cette période est le refus de publier la première partie de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust fin 1912. Jean Schlumberger porte un œil distrait et prévenu sur cette volumineuse copie dont il recommande de ne pas entreprendre la publication : l’auteur est un mondain, gravitant sur une orbite morale, sociale et esthétique qui n’est pas celle de la NRF. Du côté de chez Swann sera publié fin 1913 à compte d’auteur chez Bernard Grasset. On se rend compte dès lors de la gravité de la faute commise ; il faudra l’action conjuguée de Gide, de Jacques Rivière, secrétaire de la revue depuis 1912, et de Gaston Gallimard pour obtenir de Proust qu’il se détache de son premier éditeur afin de poursuivre la publication de La Recherche à la NRF. Imprimé en novembre 1918 par les Éditions de la NRF, À l’ombre des jeunes filles en fleurs reçoit le prix Goncourt 1919...

Maquette de la recouvrure du roman de Marcel Proust Du côté de chez Swann édité par les Éditions de la NRF
Maquette de la recouvrure du roman de Marcel Proust Du côté de chez Swann édité par les Éditions de la NRF |

© Archives Éditions Gallimard

Même ralentie par les contraintes et circonstances de guerre, l’activité des Éditions se prolonge durant le conflit, Gaston Gallimard s’épargnant une montée au front. C’est ainsi qu’il fait paraître en 1917 La Jeune Parque de Paul Valéry, marquant le grand retour du maître aux « charmes » de la poésie.

La Jeune Parque
La Jeune Parque |

© Bibliothèque nationale de France

La NRF et le théâtre

Très tôt, Gide obtient de Paul Claudel qu’il réserve ses pièces futures à La NRF, ce qui adviendra. Malgré l’estime réciproque qui unit les deux créateurs, leur « alliance » se verra toutefois rapidement fragilisée. L’idée d’associer un théâtre à La NRF revient quant à elle à deux des fondateurs de la revue, Jacques Copeau et Jean Schlumberger. L’un s’est fait connaître par ses critiques dramatiques et par son adaptation des Frères Karamazov ; le second a déjà quelques pièces à son actif. Habitué des loges, Gaston Gallimard est sensible à cette proposition, qui sonne comme un adieu à la « cohue foraine du Boulevard »  de son enfance. Ainsi naît le Vieux Colombier.

L'avant-garde ne tiendra pas demeure au Vieux Colombier : les grands classiques seront privilégiés, mais côtoieront des œuvres de Claudel, Gide, Martin du Gard ou Vildrac. Charles Dullin et Louis Jouvet, régisseur, font partie de la troupe qui ouvre sa première saison le 23 octobre 1913. L'expérience du Vieux Colombier (1913-1924), exportée durant la Grande Guerre à New York, puis l'évolution de Copeau vers un théâtre populaire « décentralisé », appartient à la grande histoire de la scène française.

1919-1939 : la Librairie Gallimard

Rebaptisée Librairie Gallimard en 1919, à la suite d’un véritable coup de force, la maison d'édition devient, sous l'impulsion de Gaston Gallimard et de son frère Raymond, une entreprise prospère qui va s'attacher des auteurs importants, comme Proust, Malraux, Saint-Exupéry, Queneau, Sartre, Hemingway ou Faulkner. Elle jouit bientôt d'une grande autorité littéraire malgré son ascendance gidienne qui la rendent suspecte à la droite de l'échiquier politique. L’équilibre économique est trouvé au début des années 1930 en confiant la diffusion aux Messageries Hachette et en s'engageant, provisoirement, dans la presse populaire et politique avec les périodiques Détective, Voilà et Marianne.

Ce qui paraît de l'extérieur une dispersion, n'est qu'une nécessité commerciale et de trésorerie, au bénéfice de ce qui compte.

Gaston Gallimard à Paul Claudel, janvier 1946

Nouvelles collections et nouveaux auteurs

Les années d’entre-deux-guerres voient s’élargir le spectre éditorial de la Maison avec la création de nombreuses collections : « Les Peintres nouveaux », « Les Documents bleus », « Bibliothèque des Idées », « Les Essais », « Vie des Hommes illustres », « Du Monde entier »... La littérature française de création trouve son foyer dans des collections comme « Une Œuvre, un portrait » puis dans « Métamorphoses », qui accueillent les jeunes Dadas puis les surréalistes, ainsi que les écrits de Jouhandeau, Ponge, Michaux, Audiberti ou Tardieu...

La prestigieuse Pléiade n’est pas née chez Gaston Gallimard mais chez Jacques Schiffrin en 1931. Deux ans plus tard, sur le conseil de Gide, la NRF reprend cette collection en mal de trésorerie ; Schiffrin en conserve la direction et prend par ailleurs la responsabilité des publications de Gallimard pour la jeunesse (Les Contes du chat perché...). Le papier bible, le Garamond, la reliure de peau dorée... tout ce qui était en place dès 1931 perdure, avec toutefois deux mutations : l’ouverture aux contemporains (Gide, en 1940) et l’amplification de l’appareil critique après-guerre. Lieu de la consécration littéraire, dont rêvait Céline, la Pléiade attire des auteurs restés en marge de la NRF, comme Julien Green, François Mauriac, Julien Gracq ou Claude Simon.

Publicité pour la « La Bibliothèque de la Pléiade »
Publicité pour la « La Bibliothèque de la Pléiade » |

© Archives Éditions Gallimard

La Maison apporte également une contribution décisive au renouvellement du roman, associant au catalogue des aînés les œuvres singulières de Morand, Supervielle, Cocteau, Cohen, Aymé, Kessel, Saint-Exupéry, Giono, Simenon, Queneau et Sartre, laissant toutefois échapper Montherlant, Céline et Gracq. Jean Paulhan, rédacteur en chef de la revue après la mort de Jacques Rivière en 1925, est l’un des promoteurs de cette génération nouvelle, même si sa rupture avec des surréalistes « politisés » nuira aux bonnes relations d’Aragon et Breton avec Gaston Gallimard.

Lithographies de Giorgio de Chirico pour Calligrammes de Guillaume Apollinaire
Lithographies de Giorgio de Chirico pour Calligrammes de Guillaume Apollinaire |

© Archives Éditions Gallimard

Le principal concurrent de Gallimard est alors l’éditeur Bernard Grasset, auquel la Maison parvient cependant à soustraire André Malraux dans les années 1930. Il sera notamment l’un des intercesseurs pour la jeune littérature américaine (Hemingway, Dos Passos, Caldwell, Faulkner et Steinbeck) qu’accueille alors la Maison, aux côtés des œuvres de Pirandello, Svevo, Kafka, Döblin, Nabokov, Amado et, en léger différé, Joyce. La période est aussi marquée par la publication des grands textes de Freud et d’Alain, l’ouverture à la philosophie (Kierkegaard, Hegel, Heidegger) et aux sciences de l’homme (Leiris, Dumézil) et, dans un contexte de plus en plus politisé, la parution des grands essais de Gide, Giono et Bernanos.

Le Procès
Le Procès |

© Photo Patrick Léger/Archives Éditions Gallimard

Tandis que j’agonise
Tandis que j’agonise |

© Photo Patrick Léger/Archives Éditions Gallimard

Le comité de lecture

Le comité de lecture des Éditions Gallimard est institué en 1925. Gaston Gallimard s’entoure de collaborateurs qu’il réunit chaque semaine, parmi lesquels figurent les cadres intellectuels de la revue : Jean Paulhan, Benjamin Crémieux, Ramon Fernandez, Bernard Groethuysen, bientôt rejoints par Brice Parain, André Malraux, Marcel Arland et Raymond Queneau...

« Gallimard & Cie », dans Point de Vue
« Gallimard & Cie », dans Point de Vue |

© Archives Gallimard / Fonds Jean Paulhan

Avec l’essor de la Maison, les propositions de textes affluent, de tous genres. Le comité est le lieu où la dimension collective de la NRF se manifeste. De nombreux lecteurs préparent en amont son travail de sélection ; les manuscrits, notés de 1 (à publier) à 3 (à refuser), y passent de main en main, jusqu’à ce qu’une décision définitive puisse être prise.

1939-1945 : les années sombres

Équipe de la NRF à Mirande. Au fond, Gaston Gallimard et, de profil, le chef comptable Charles Dupont
Équipe de la NRF à Mirande. Au fond, Gaston Gallimard et, de profil, le chef comptable Charles Dupont |

© Collection Emmanuel Boudot-Lamotte/Éditions Gallimard

Pendant l’Occupation, Gaston cherche à préserver l’intégrité et l’activité de sa Maison. Repliées en septembre 1939 dans la Manche, les équipes des Éditions se dispersent durant l’exode, les Gallimard et les Paulhan passant l’été 1940 à Carcassonne chez l’écrivain Joë Bousquet. La publication de La NRF est alors interrompue. Gaston Gallimard décide de revenir à Paris en octobre 1940 afin d’éviter une mise sous séquestre de sa société.

Il n'y a qu'une solution que je ne veux pas envisager, c'est de me résigner à ne pas publier. 

Gaston Gallimard à Aragon, 16 avril 1941

Les Allemands ont déjà instauré un régime de contrôle de l’édition en zone occupée, ordonnant le retrait de nombreux ouvrages. Ils exigent de Gallimard des garanties particulières au vu de la « toxicité » de son catalogue et du caractère prétendument « enjuivé » de son capital et ses équipes. Le siège de la NRF est mis sous scellés le 9 novembre ; le 23, un accord est trouvé : Gaston garde la maîtrise de son entreprise, mais consent à la prise en main par les Allemands de la revue La NRF.

Fichiers de la « liste Otto », liste des livres interdits à la vente par les Allemands
Fichiers de la « liste Otto », liste des livres interdits à la vente par les Allemands | © Archives Éditions Gallimard
Bordereau des Messageries de journaux Hachette indiquant le titre des premiers livres interdits à la vente par les autorités allemandes.
Bordereau des Messageries de journaux Hachette indiquant le titre des premiers livres interdits à la vente par les autorités allemandes. |

© Archives Éditions Gallimard

Pierre Drieu la Rochelle à son bureau
Pierre Drieu la Rochelle à son bureau |

© Archives Éditions Gallimard

Gallimard a accepté que soient confiées au collaborationniste Drieu la Rochelle la direction d’une NRF exclusivement littéraire et « une participation étendue » à la direction des Éditions. Mais Drieu rend exsangue la revue, en l’ouvrant à des écrits pro-allemands et en la fermant aux auteurs « indésirables » ; privée de ses auteurs « historiques », la revue cessera de paraître en juin 1943...

Nous nous réjouissons de pouvoir déclarer que la personnalité de M. Drieu la Rochelle nous paraît présenter toutes les garanties pour que votre maison d'éditions contribue utilement à propager l'idée d'une grande réorganisation politique en Europe, ainsi que celle d'une restauration de la France et d'une collaboration entre la France et l'Allemagne.

Service de la propagande allemande à Gaston Gallimard, 28 novembre 1940

Dans le même temps, la résistance intellectuelle s’organise autour de Paulhan, Queneau et d’autres au sein même des Éditions. Cette période douloureuse et complexe est marquée par la révélation des œuvres d’Albert Camus et de Maurice Blanchot et, malgré la censure, par la publication de textes importants d’Eluard, Aragon, Sartre, Queneau, Saint-Exupéry et Jünger.

Les Lettres françaises clandestines
Les Lettres françaises clandestines |

© Archives Éditions Gallimard

Lettre de Camus à Gaston Gallimard
Lettre de Camus à Gaston Gallimard |

© Archives Éditions Gallimard

À la Libération, la revue est interdite par le comité d’épuration, alors que le dossier des Éditions est classé. Les questions de l’épuration des milieux littéraires et de l’engagement des écrivains séparent alors le clan sartrien, réuni autour de la revue des Temps modernes, et celui de Jean Paulhan, qui réunit dans ses Cahiers de la Pléiade, au nom de la seule littérature, les réprouvés du jour (Céline, Jouhandeau, Montherlant...) et les résistants de la veille.

Réunion du Comité national des écrivains à la libération de Toulouse avec Elsa Triolet, Paul Eluard, Tristan Tzara et Louis Aragon
Réunion du Comité national des écrivains à la libération de Toulouse avec Elsa Triolet, Paul Eluard, Tristan Tzara et Louis Aragon |

© Collection Succ. Francis Crémieux

Couverture de la revue Les Temps modernes, n° 1
Couverture de la revue Les Temps modernes, n° 1 |

© Photo Patrick Léger/Archives Éditions Gallimard

1946-1970 : d’un Gallimard l’autre

L’ouverture d’un nouvel âge

Les succès de librairie (Autant en emporte le vent, Le Petit Prince, la collection de la Pléiade...) permettent à la Maison de mener une politique de développement éditorial et d’asseoir les fondations d’un groupe, avec le rachat de Denoël et du Mercure de France. Cette évolution, simultanée à celle d’Hachette, tend les relations entre l’éditeur et son diffuseur, qui rompent leurs accords commerciaux en 1970 ; cette décision provoque le retrait des titres de la NRF du Livre de poche (Hachette).

Le Petit Prince
Le Petit Prince |

© Archives Éditions Gallimard

Publicité pour le roman de Margaret Mitchell Autant en emporte le vent
Publicité pour le roman de Margaret Mitchell Autant en emporte le vent |

© Archives Éditions Gallimard

Politique éditoriale

Camionnette de livraison avec publicité pour La Fontaine Médicis de Joseph Kessel
Camionnette de livraison avec publicité pour La Fontaine Médicis de Joseph Kessel |

© Archives Éditions Gallimard

De nouveaux auteurs de littérature française entrent chez Gallimard : Char, Duras, Gary, Genet, Ionesco, Jaccottet, Prévert, Yourcenar, Le Clézio, Tournier, Modiano… Claude Gallimard poursuit une politique d’auteur destinée à assurer un développement à long terme, parfois sans espoir de rentabilité à court terme. La vie du fonds est alors assurée par le jeu des collections, de la « Pléiade » aux livres de poche, qui permettent d’exploiter les succès sous plusieurs formes. Pour constituer un tel catalogue, les Gallimard sont passés maîtres dans l’art de rassembler les auteurs au-delà des divisions politiques, morales ou esthétiques, « au nom de la suprématie de la chose littéraire », comme le rappelle Romain Gary en 1962.

J’ai toujours fait se supporter des gens qui avaient toutes les raisons de ne pas se supporter. 

Gaston Gallimard

La Maison s'ouvre plus largement aux littératures étrangères : les grands romanciers américains Faulkner, Hemingway, Miller,  Steinbeck fréquentent la rue Sébastien-Bottin. La littérature germanique d'avant-garde entre avec Thomas Bernhard et Peter Handke dès la fin des années 1960. Mishima publie le Pavillon d'or en 1961. Les Français découvrent aussi Borges, Cortazar, Roth, Pasternak, Kerouac et Kundera.

Mario Vargas Llosa
Mario Vargas Llosa |

© Photo Jacques Sassier/Archives Éditions Gallimard

Mishima posant dans le jardin de l’hôtel de la NRF.
Mishima posant dans le jardin de l’hôtel de la NRF. |

© Archives Éditions Gallimard/André Bonin

Les essais ne sont pas en reste, avec notamment Aron, Sartre, Merleau-Ponty et Simone de Beauvoir ; François Erval, J.-B. Pontalis et Pierre Nora posent les fondations d’un département de sciences humaines, marqué par la publication en 1966 des Mots et les choses de Michel Foucault, l’essor de la nouvelle histoire (Duby) et le renouveau de la critique (Starobinski).

C’est à Malraux et Queneau que reviendra la maîtrise d’œuvre des « grands travaux »  lancée après la guerre à la NRF, et dont la réalisation se prolongera durant quarante ans. Le premier œuvre à l’édification de son « Musée sans murs »  voué au patrimoine artistique universel, d’une part avec la « Galerie de la Pléiade » (1950) d’autre part avec « l’Univers des formes ». Queneau se voit pour sa part confier en 1954 la direction éditoriale de la très ambitieuse « Encyclopédie de la Pléiade ».

Pages intérieures de Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale
Pages intérieures de Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale |

© Archives Éditions Gallimard

Romans noirs

Marcel Duhamel dans les magasins de la « Série noire »
Marcel Duhamel dans les magasins de la « Série noire » |

© Archives Éditions Gallimard

Traducteur de « romans d’aventures »  américains, Marcel Duhamel, ami de Jacques Prévert, rencontre Michel Gallimard en 1944. De leur bonne entente naît, en septembre 1945, la « Série noire », dont les trois premiers titres sont traduits par Duhamel : La Môme vert-de-gris et Cet homme est dangereux d’Horace McCoy ainsi que le sulfureux Pas d’orchidées pour Miss Blandish de James Hadley Chase.

Notre but est fort simple : vous empêcher de dormir.

Marcel Duhamel

1970-2010 : une nouvelle donne

Une distribution indépendante pour une maison indépendante

En 1971, Gallimard se dote de sa propre structure de distribution, la SODIS, et d’équipes de vente. Ayant mis fin à son association avec Hachette dans le Livre de poche, Gallimard lance Folio en 1972, où seront repris les principaux succès de son catalogue. Le « poche », qui assure désormais la présence des fonds d’éditeurs en librairie, est un enjeu stratégique. Il s’agit de se démarquer de la concurrence. Massin donne à la collection des attributs graphiques « haut de gamme » : illustrations sur fond blanc, format élancé proche du 10 x 18 américain, caractères à empattements… Cinq cents ouvrages paraissent en deux ans.

Vue intérieure de la Sodis, Lagny-sur-Marne.
Vue intérieure de la Sodis, Lagny-sur-Marne. | © Archives Éditions Gallimard
Affiche pour les 15 ans de Folio
Affiche pour les 15 ans de Folio |

© Archives Éditions Gallimard

À la mort de son fondateur, le jour de Noël 1975, Gallimard est une maison convoitée. Claude doit continuer à développer l’entreprise familiale. Il fait entrer ses quatre enfants dans l’entreprise. C'est à son fils cadet, Antoine, qu’il en confiera la présidence en 1988. Celui-ci lequel saura en préserver l’indépendance en dépit d’une crise familiale. D’abord épaulé par Teresa Cremisi et une équipe solide d’éditeurs et de lecteurs dont Pascal Quignard, Antoine Gallimard maintient le cap éditorial d’une maison très littéraire, inscrite dans la vie des idées (Le Débat, « NRF Essais »...), aussi attractive qu’ouverte à l’international et œuvrant continûment à l’animation de son fonds.

Claude et Antoine Gallimard
Claude et Antoine Gallimard |

© Archives Éditions Gallimard

D’abord réticent à l’idée d’une régulation des prix, Claude Gallimard se rallie à la loi sur le prix unique du livre en 1981, avant que son fils ne s’engage plus avant dans la défense de la librairie. Antoine Gallimard défendra cette conviction dans le nouvel environnement numérique, associant la défense de la propriété intellectuelle à la promotion de la lecture sur tous supports. Le groupe accueille de nouvelles enseignes, à l’identité éditoriale très forte, comme POL, Joëlle Losfeld, Verticales ou Futuropolis. Avec un catalogue de 35 000 titres, il était en 2010 le plus grand éditeur indépendant français.

Face à la puissance des réseaux et de la société d'information, nous sommes tous embarqués, selon la belle expression de Pascal ; il faut faire le pari que nous avons tous à gagner, dans la mesure où nous préservons ce qui est le propre de nos métiers : la valeur des textes, le soin apporté à leur établissement, leur juste inscription dans la vie culturelle et l'éducation, leur accessibilité partagée. 

Antoine Gallimard, octobre 2010
Affiche, Pour une politique au prix du livre
Affiche, Pour une politique au prix du livre |

© Photo Catherine Hélie/Archives Éditions Gallimard

Vitrines de la librairie Le Divan, à Paris, dans le 15e arrondissement
Vitrines de la librairie Le Divan, à Paris, dans le 15e arrondissement |

© Archives Éditions Gallimard

Gallimard et la jeunesse

Pierre Marchand et Jean-Olivier Héron
Pierre Marchand et Jean-Olivier Héron |

© Photo Raymond Stoffel/Archives Éditions Gallimard Jeunesse

De Macao et Cosmage au Petit Prince, en passant par les Contes du chat perché, la NRF tient une place singulière dans l’édition pour la jeunesse depuis les années 1930. Mais c’est en 1972 qu’un véritable tournant a lieu, avec l’arrivée de Pierre Marchand, éditeur visionnaire, et de son complice Jean-Olivier Héron dans l’effectif de Gallimard.

Le geste s’ouvre avec la collection anthologique « Mille Soleils », qui est suivie en 1977 par «  Folio Junior », première collection de poche dédiée au jeune public, puis en 1978 par « Enfantimages », où excelleront des illustrateurs comme Etienne Delessert, Jacqueline Duhême ou Georges Lemoine. Le fonds Gallimard est alors largement sollicité (Le Clézio, Prévert, Roy, Tournier, Yourcenar…), avant que la Maison ne s’ouvre aux créateurs anglais (Dahl, Blake, Ross...) et à de nouveaux auteurs français, à l’image de Pef et de son célèbre Motordu.

La passion encyclopédique de Pierre Marchand le conduit à imaginer une large gamme d’ouvrages autour de la marque « Découvertes », déclinée pour tous les âges. Le dialogue entre le texte et l’image est réinventé pour le plaisir des yeux et la satisfaction de l’esprit de curiosité. Ce département documentaire sera renforcé par une durable coopération avec la maison londonienne Dorling Kindersley, tandis que son savoir-faire bénéficiera au secteur de guides touristiques ouvert en 1992 avec la célèbre « Encyclopédie du voyage ».

Le Peuple des insectes
Le Peuple des insectes |

© Photo Patrick Léger/Archives Éditions Gallimard

La croissance de Gallimard Jeunesse est spectaculaire, le département représentant un tiers du chiffre d’affaires de la société en 1991, année de sa filialisation. Le développement de séries pour la petite enfance, la fragmentation de la production par classe d’âges et l’adjonction de cellules éditoriales innovantes, comme Giboulées en 1993 avec Antoon Krings et ses « Drôles de Petites Bêtes », marqueront ces quinze dernières années, qui sont aussi celles du succès international de Harry Potter.

Sur la tête de la chèvre
Sur la tête de la chèvre |

© Photo Patrick Léger/Archives Éditions Gallimard

Couverture du premier tome de la série Harry Potter,  Harry Potter. À l’Ecole des Sorciers
Couverture du premier tome de la série Harry Potter, Harry Potter. À l’Ecole des Sorciers |

© Coll. Jean-Claude Götting

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