Chez les paysans

   

Les paysans forment les neuf dixièmes de la population mais il est très difficile de reconstituer leur alimentation. Ils n'ont pas laissé d'archives et lorsque – par chance pour l'historien – un notaire franchit leur porte, il ne prend la peine de noter que les objets de quelque valeur : or, la demeure paysanne n'en contient pratiquement pas. Rares aussi sont les réserves de céréales ou d'huile, dans un monde où il n'est pas évident d'assurer la nourriture quotidienne. De ces maigres écrits et des fouilles de villages médiévaux – sur lesquels les nôtres ont été construits – se dégage l'impression d'une grande précarité.




Une alimentation fragile


Tous n'ont pas l'assurance d'une nourriture suffisante. Si famines et disettes ont pratiquement disparu grâce à l'optimum climatique des XIe-XIIIe siècles, la multiplication des hivers froids et des étés "pourris" les fait réapparaître à la fin du Moyen Âge. Les terroirs ne peuvent plus s'étendre et il n'est donc pas possible de répondre aux besoins d'une population toujours plus nombreuse. La disette est inévitable et les ravages de la guerre de Cent Ans, la pression fiscale qui en découle et la mauvaise organisation des transports l'aggravent encore. Les paysans sont d'autant plus exposés à ces difficultés que leur ration alimentaire est dangereusement déséquilibrée.

 

 

Le primat des céréales


Partout dominent les céréales. En temps normal, la ration quotidienne de pain peut monter jusqu'à plus d'un kilogramme par personne. Ces énormes quantités de céréales procurent l'essentiel des calories, conduisant à de graves déséquilibres nutritionnels. La carence en vitamine A, exclusivement fournie par des produits animaux, entraîne des risques de cécité. La préférence pour le pain blanc, débarrassé de son, multiplie les cas de pellagre, affection cutanée. Déterminé à assurer coûte que coûte son pain quotidien, le paysan ne sépare pas toujours le bon grain de l'ivraie, qui contient un alcaloïde puissant. Les années humides, de plus en plus nombreuses, favorisent enfin la prolifération d'un parasite installé dans l'épi de seigle dont les effets neurologiques sont destructeurs : les victimes de l'ergotisme perdent souvent leurs membres, noircis par le mal.

 

Les nourritures de famine


Lorsqu'il n'est plus du tout possible de faire du pain, il faut bien se résoudre à consommer un peu n'importe quoi. C'est le cas en 1438, où même les légumes verts viennent à manquer à Paris – en réalité ils sont si chers que la plupart ne peuvent se les procurer. Les plus pauvres en sont réduits à cueillir des orties, qu'ils font cuire sans matière grasse, seulement à l'eau salée. Car les ressources offertes par la nature sauvage sont abondantes. Au-delà de la ceinture des champs et des jardins, les bois, prairies, landes et cours d'eau offrent les produits de la cueillette, de la chasse et de la pêche. Mais les seigneurs ruraux accumulent les restrictions à leur usage : les forêts sont transformées en réserves de chasse et les retenues sur les rivières créent des étangs dont les poissons font l'objet d'une exploitation rationnelle et intensive.

 

 

Manger à sa faim


Si l'on met à part les mauvaises années – nombreuses il est vrai –, la situation alimentaire du paysan est sans doute meilleure vers 1450 qu'elle ne l'était vers 1250. La chute de la population a entraîné une extension des espaces incultes. Les progrès de l'élevage ont accompagné la croissance de la consommation de viande : les XIVe et XVe siècles sont des siècles carnassiers, comme on n'en retrouvera plus de sitôt.
Le régime des rustres est donc devenu plus varié et, quoique délicates à établir, des rations quotidiennes d'environ 3 000 calories ne sont pas improbables. Cela n'empêche nullement les romanciers, les chroniqueurs et les artistes, qui méprisent les paysans, de les considérer toujours comme des mangeurs d'aulx et d'oignons – sans doute les aliments les plus vils que l'on puisse imaginer dans le système de valeurs du Moyen Âge !