Les sources

 

Très rares durant le haut Moyen Âge, les documents qui nous renseignent sur la gastronomie se multiplient à partir du XIIIe siècle. La raison en est la diffusion croissante de l'écrit dans la société médiévale. Désormais, on transcrit sur du parchemin ou du papier les règles qui se transmettaient auparavant par oral : c'est le cas des recettes culinaires, notre source principale en la matière. Mais on confie aussi à un notaire le soin de consigner par écrit les biens d'un défunt, ce qui permet aux historiens de connaître par le menu les pots, poêles et grils qui formaient sa batterie de cuisine ! Qu'elles soient normatives (livres de cuisine, lois somptuaires, guides de bonnes manières) ou narratives (récits de romanciers ou de chroniqueurs), ces sources ne permettent guère de connaître que les milieux les plus aisés. Il faut donc les compléter par les renseignements tirés des fouilles archéologiques.

 




Le goût des mots et celui des mets


Les chansons de geste ou les romans de chevalerie du XIIe siècle se contentaient d'évoquer vaguement les repas merveilleux offerts à leurs héros. Pour les auteurs de La Chanson de Roland ou des romans arthuriens, l'aliment était davantage vu comme un signe que comme une réalité concrète. Le goût pour la description des nourritures est au contraire manifeste dans la littérature de la fin du Moyen Âge. Tout paraît alors bon pour énumérer de longues listes de mets et en détailler la préparation et la saveur. La parodie est souvent au rendez-vous, avec le martyre culinaire de saint Hareng ou de saint Oignon, ce dernier étant successivement "rôti sur le gril à la taverne", brûlé tout vif ou "... mis à la fumée, / … Et puis mangé au cresson, / En vinaigre et à la moutarde. / Mis avec des oignons / En pot en petits morceaux, / Mis en pâté (...)", enfin "mangé en carême avec des pois". Quant aux condamnations moralisatrices des banquets, elles sont le prétexte à décrire complaisamment des plats savoureux, dont, bien évidemment, on ne peut se garder qu'en les connaissant très bien.

 

 

Les livres de cuisine


On ne sait pas dans quelle mesure les recettes culinaires rassemblées dans des recueils spécialisés recevaient une application. Il est sûr en tout cas que les plus anciens livres de cuisine conservés apparaissent vers 1300 ou peu avant. Que, d'autre part, les manuscrits culinaires se multiplient jusqu'à la fin du XVe siècle. Ce sont là, il est vrai, des œuvres écrites par des cuisiniers professionnels, attachés à de grandes maisons princières ou ecclésiastiques : elles témoignent donc d'une cuisine aristocratique et souvent même d'une cuisine d'exception. Mais, rapidement, ces mémentos très sommaires se sont diffusés hors des cours et se sont enrichis de précisions, de produits et de plats plus adaptés à leurs milieux d'adoption. À moins que les sauces composées d'épices aussi coûteuses que variées n'aient fait rêver les bons bourgeois qui n'avaient pas les moyens de se les offrir.

 

 

Les comptes d'approvisionnement


Seules les administrations princières, les monastères importants ou les maisonnées seigneuriales nous ont laissé des documents comptables. Et encore ces comptes sont-ils bien lacunaires. Ils énumèrent rarement les nombreux produits – lait, œufs, volailles, blé, légumes – que fournissent les terres, les prés et les basses-cours du maître, ou encore ceux que procurent les redevances en nature imposées aux paysans. Il faudrait en outre connaître le nombre exact de convives pour calculer des rations qui ont toutes les chances de se révéler théoriques, tant la plus grande inégalité règne en la matière, et ceci à l'intérieur d'une même communauté. Faute de pouvoir estimer le poids en viande des animaux d'élevage – beaucoup plus petits que ceux d'aujourd'hui – et de pouvoir mesurer la grosseur et la qualité des légumes, il est donc bien difficile de calculer le nombre de calories que chacun, même dans un milieu restreint, avait à sa disposition.

 

 

Les poubelles de l'histoire


Dans les dernières décennies, les données fournies par les prospections archéologiques ont totalement renouvelé nos connaissances sur l'alimentation médiévale. Les milliers de pots découverts dans les foyers et les dépotoirs confirment que la cuisine du plus grand nombre consiste à faire bouillir ou mijoter. Grâce aux graines carbonisées dans les silos, on peut suivre le parcours de plantes qui disparaissent presque (l'épeautre) ou au contraire s'imposent (le seigle), voire font une timide apparition (le sarrasin dans l'Ouest). Ces études, dites carpologiques, aident aussi à repérer les isolats consacrés à telle ou telle culture : le cas du millet, fort répandu dans le sud-ouest de la France, est l'un des plus connus. Les ossements animaux, enfin, ont offert d'étonnantes découvertes. L'identification des restes a pu établir que c'est le bœuf qui a largement dominé la consommation carnée, y compris paysanne, durant tout le Moyen Âge, remettant en cause les vieux clichés sur le porc "familial". Les traces de découpe, de décharnage et de combustion figurant sur les os permettent d'autre part de reconstituer la préparation des animaux, depuis la boucherie jusqu'à la cuisine. Les sites de la vallée de la Loire montrent, par exemple, que l'on est passé, à la fin du Moyen Âge, d'une utilisation de type charcuterie, où la viande entièrement désossée est fumée ou salée pour constituer des réserves, à une cuisine plus immédiate et sans doute plus raffinée qui se pratique à partir de petits morceaux de porc frais dans lesquels on a gardé l'os.

 

 

Des images ambiguës


Les nombreuses images de repas éclairent beaucoup sur les usages et les rituels de table, notamment celles qui dépeignent les cercles aristocratiques pour lesquels travaillent les artistes. En revanche, il paraît illusoire, la plupart du temps, de vouloir identifier les produits servis sur la table ou apportés par des domestiques. On reconnaît souvent des volatiles, dont l'importance dans le régime alimentaire des grands ne fait aucun doute : mais ce sont aussi des animaux faciles à repérer, grâce à leur bec et à leurs pattes, aptes donc à signifier l'aliment. Quant à la sauce qui les accompagne, elle résiste à toute identification !