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On ne sait pas dans
quelle mesure les recettes culinaires rassemblées dans des recueils spécialisés
recevaient une application. Il est sûr en tout cas que les plus anciens
livres de cuisine conservés apparaissent vers 1300 ou peu avant. Que,
d'autre part, les manuscrits culinaires se multiplient jusqu'à la fin
du XVe siècle. Ce sont là, il est vrai, des œuvres écrites par des cuisiniers
professionnels, attachés à de grandes maisons princières ou ecclésiastiques : elles témoignent donc d'une cuisine aristocratique et souvent même d'une
cuisine d'exception. Mais, rapidement, ces mémentos très sommaires se
sont diffusés hors des cours et se sont enrichis de précisions, de produits
et de plats plus adaptés à leurs milieux d'adoption. À moins que les sauces
composées d'épices aussi coûteuses que variées n'aient fait rêver les
bons bourgeois qui n'avaient pas les moyens de se les offrir.
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Seules les administrations
princières, les monastères importants ou les maisonnées
seigneuriales nous ont laissé des documents comptables. Et encore
ces comptes sont-ils bien lacunaires. Ils énumèrent rarement
les nombreux produits lait, ufs, volailles, blé,
légumes que fournissent les terres, les prés
et les basses-cours du maître, ou encore ceux que procurent les
redevances en nature imposées aux paysans. Il faudrait en outre
connaître le nombre exact de convives pour calculer des rations
qui ont toutes les chances de se révéler théoriques,
tant la plus grande inégalité règne en la matière,
et ceci à l'intérieur d'une même communauté.
Faute de pouvoir estimer le poids en viande des animaux d'élevage
beaucoup plus petits que ceux d'aujourd'hui et
de pouvoir mesurer la grosseur et la qualité des légumes,
il est donc bien difficile de calculer le nombre de calories que chacun,
même dans un milieu restreint, avait à sa disposition.
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Dans les dernières
décennies, les données fournies par les prospections archéologiques
ont totalement renouvelé nos connaissances sur l'alimentation médiévale.
Les milliers de pots découverts dans les foyers et les dépotoirs
confirment que la cuisine du plus grand nombre consiste à faire
bouillir ou mijoter. Grâce aux graines carbonisées dans les
silos, on peut suivre le parcours de plantes qui disparaissent presque
(l'épeautre) ou au contraire s'imposent (le seigle), voire font
une timide apparition (le sarrasin dans l'Ouest). Ces études, dites
carpologiques, aident aussi à repérer les isolats consacrés
à telle ou telle culture : le cas du millet, fort répandu
dans le sud-ouest de la France, est l'un des plus connus. Les ossements
animaux, enfin, ont offert d'étonnantes découvertes. L'identification
des restes a pu établir que c'est le buf qui a largement
dominé la consommation carnée, y compris paysanne, durant
tout le Moyen Âge, remettant en cause les vieux clichés sur
le porc "familial". Les traces de découpe, de décharnage
et de combustion figurant sur les os permettent d'autre part de reconstituer
la préparation des animaux, depuis la boucherie jusqu'à
la cuisine. Les sites de la vallée de la Loire montrent, par exemple,
que l'on est passé, à la fin du Moyen Âge, d'une utilisation
de type charcuterie, où la viande entièrement désossée
est fumée ou salée pour constituer des réserves,
à une cuisine plus immédiate et sans doute plus raffinée
qui se pratique à partir de petits morceaux de porc frais dans
lesquels on a gardé l'os.
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