Le service du vin selon Olivier de la Marche

 

   

Dans le cadre des grandes cours du temps – et singulièrement de la cour de Bourgogne – s'est élaborée une littérature qui entend réglementer minutieusement le déroulement et l'ordonnance des festins, la succession des mets et les services. Le traité le plus célèbre a été écrit par Olivier de la Marche : c'est "L'état de la maison du duc Charles de Bourgogne dit le Hardy", autrement dit Charles le Téméraire.
En tant que maître d'hôtel, de la Marche a non seulement pour fonction de faire savoir aux cuisines les plats que son maître désire voir paraître à sa table, mais d'organiser le service de la bouche à sa satisfaction.
Le service du vin est assuré par l'échanson qui, notamment, mélange le vin à l' eau, au goût du prince.
Le service est réglé par le maître d'hôtel comme un véritable ballet, où chacun a son rang, sa place et sa fonction.

L'extrait suivant, qui concerne le service du vin, en donnera une idée :

 



Le service du vin


"Quand la table est couverte et que le panetier [a fait son travail], l'huissier de salle va chercher l'échanson qui doit servir pour le jour, et le mène en l'échansonnerie. Là le garde-linge donne le gobelet couvert, que l'échanson prend par le pied en sa main droite, et en la main gauche il tient une tasse ; [en même temps que le gobelet et la tasse, le garde-linge donne] les bassins, pots et aiguières pour le prince, au sommelier qui les lave et nettoie ; et le sommelier donne le gobelet à l'échanson, qui se met après l'huissier de salle, qui porte, lui, les bassins pendant en la main gauche. Et après l'échanson marche le sommelier de l'échansonnerie, qui doit porter en sa main droite deux pots d'argent, où est le vin du prince pour l'un, et pour l'autre de l'eau. Et le pot du prince doit être reconnu à une pièce de licorne pendant à ce pot avec une chaîne. Le sommelier doit porter en sa main gauche une tasse, et pas plus, et dans cette tasse doit être couchée l'aiguière pour servir l'eau. Cette tasse que porte le sommelier sert à faire l'essai que l'échanson lui donne. Après le sommelier vient l'aide qui doit porter les pots et les tasses pour le buffet du prince."

Chaque objet suit donc un trajet très précis, chaque geste est défini. On a affaire à un véritable rituel, dont on verra, par la suite du texte, qu'une des raisons majeures est la peur des empoisonnements :
"Le prince venu et l'assiette donnée, le maître d'hôtel appelle l'échanson, et alors l'échanson abandonne la table, va au buffet, et trouve les bassins couverts que le sommelier a préparés ; il les prend et donne l'essai de l'eau au sommelier, et il s'agenouille devant le prince, lève le bassin qu'il ouvre de la main gauche, et verse de l'eau de l'autre bassin sur le bord de celui-ci, et en fait créance et essai, et donne à laver de l'un des bassins, et reçoit l'eau dans l'autre bassin. Sans recouvrir ces bassins, il les rend au sommelier. Ceci fait, l'échanson se met devant le gobelet, et regarde le prince, et il doit avoir si grand regard que le prince ne doit avoir à demander le vin que par signe."

Cela ne signifie pas que le prince soit immédiatement servi, puisque l'échanson "prend, après le signe, le gobelet en sa main et la tasse et doit porter son gobelet haut, afin que son haleine ne l'atteigne point. L'huissier de salle lui ouvre la voie, et quand le sommelier le voit venir, il emplit son aiguière d'eau fraîche, et rafraîchit le gobelet dans la main de l'échanson, au-dedans et au-dehors, puis prend une tasse en la main gauche, et le pot de la bouche en la main droite, et verse d'abord en la tasse qu'il tient, et puis au gobelet, et puis prend l'aiguière et verse en la tasse, et puis atrempe le vin en son gobelet, selon ce qu'il sait et connaît du goût du prince et de sa complexion… Le vin atrempé, l'échanson verse de son gobelet en la tasse qu'il tient, et recouvre le gobelet, et il doit tenir le couvercle entre les deux petits doigts de la main avec laquelle il tient la tasse, jusqu'à ce qu'il ait recouvert le dit gobelet, et donné ce qu'il a versé en sa tasse au sommelier ; et met dedans la sienne, et doit le sommelier faire l'essai devant lui. Ainsi l'échanson porte le gobelet au prince, et découvre le gobelet, et met du vin en sa tasse, et puis recouvre son gobelet, et il fait son essai. Et, quand le prince tend la main, l'échanson lui donne le gobelet découvert, et met la tasse sous le gobelet, jusqu'à ce que le prince ait bu".

Mémoires d'Olivier de la Marche, traduction Bruno Laurioux, Le Moyen Âge à table, Paris, 1989.

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