arrêt sur

L'aventure des Globes de Coronelli

Au lendemain de la paix de Nimègue qui met fin à la guerre de Hollande, Louis XIV vient de faire de la France la plus florissante monarchie du monde. Il est aussi le protecteur des sciences et des arts et les deux globes que Coronelli lui dédie magnifient l’image d’un monde pacifié qui lui offre, grâce au commerce et à la navigation, toutes les ressources des contrées les plus lointaines.
Les Globes de Louis XIV devaient présenter les connaissances scientifiques de l’époque, mais aussi célébrer la gloire du Roi, témoigner de sa mission "terrestre" comme de son origine "céleste".

La commande, en Italie

Chargé d’une ambassade extraordinaire à la cour de Rome en 1679, le cardinal d’Estrées (1628-1714), neveu de la "belle Gabrielle", la maîtresse d’Henri IV, fut séduit par des globes de 1,75 m de diamètre que le duc de Parme, Ranuccio Farnèse, montrait à ses visiteurs. Il décida d’en offrir de beaucoup plus grands au roi Louis XIV, alors au sommet de sa gloire ; il espérait, disait-on, devenir chef du Conseil de conscience.
César d’Estrées commanda le travail à l’artisan des globes de Ranuccio, un franciscain né à Venise en 1650 qui avait appris et pratiquait la gravure et l’astronomie en même temps que la théologie. Vincenzo Coronelli avait déjà publié plusieurs petits almanachs gravés, mais c’est à cette commande extraordinaire qu’il dut la poursuite de sa brillante carrière de géographe et de fabricant de globes, et une rapide ascension dans la hiérarchie des frères mendiants.

La réalisation, en France

Pour accomplir son travail, Vincenzo s’installa à Paris en 1681, à l’hôtel d’Estrées de la rue Barbette, dans le Marais, et acheva le travail en 1683 rue Neuve-des-Petits-Champs, dans l’hôtel de Lionne, acquis par l’un des neveux du cardinal. La fabrication de ces immenses sphères avait nécessité un aménagement particulier dont Coronelli identifie nettement le coût dans les quelques notes et correspondances privées qui nous renseignent sur les premiers temps de la construction. Chaque globe mesure 3,87 m de diamètre et pèse 2,3 tonnes. Coronelli était très fier de sa prouesse technique puisqu’il assurait que chacun des globes pouvait supporter le poids de trente personnes introduites à l’intérieur par une trappe carrée dissimulée dans le décor.

L'installation des globes à Marly

Après plus de deux ans de séjour à Paris, Vincenzo Coronelli repart pour Venise, en décembre 1683, et les sphères semblent presque achevées. Les documents évoquent divers projets d’installation : la galerie des Glaces de Versailles, l’orangerie du château, mais aussi les Tuileries, à Paris, projet qui ne convenait pas au cardinal d’Estrées. Les globes n’ont finalement jamais été exposés à Versailles et c’est peut-être à la mort de Colbert, en septembre 1683, qu’il faut attribuer l’abandon d’une implantation aussi symbolique que prestigieuse.
Les globes furent finalement installés à Marly. Le château était la résidence personnelle de Louis XIV, qui y séjournait de plus en plus longuement, et seuls quelques visiteurs y étaient invités.
 
 
Le château était constitué de pavillons et l’architecte Jules Hardouin-Mansart, surintendant des bâtiments du Roi, eut la charge d’en aménager deux pour accueillir les globes, dessinant et faisant exécuter les "meubles" nécessaires. Une sphère seule pèse 2,3 tonnes, mais, munie de son support, elle en pesait 23. Les piètements sont constitués d’emmarchements de marbre sur lesquels reposent deux grands pieds en bronze en forme de volute et des colonnes en marbre surmontées de colonnettes de bronze destinées à soutenir la table d’horizon. Mais ce n’est qu'au début de 1704 que Louis XIV découvre enfin les présents que Coronelli a achevés vingt ans plus tôt.

De Marly à Paris…

Mais il serait sans doute excessif d’attribuer à ce décalage le fait que les globes quittent Marly au début de 1715, et de ne pas reconnaître que Louis XIV manque de place dans le château où il séjourne de manière presque continue. Envoyés au Louvre, où doit s’installer la Bibliothèque royale, les globes sont transférés dès 1722 dans les locaux que la Bibliothèque occupa finalement, dans l’actuelle rue de Richelieu, où est encore conservée une partie de ses collections. Les cartes "sphériques" de Coronelli rejoignent les autres collections royales de géographie. L’architecte Robert de Cotte conçoit un "salon des Globes", mais celui-ci n’est ouvert au public qu’en 1782. Comme à Marly, une galerie à mi-hauteur permet de voir les globes de près.
Mais, pour installer une nouvelle salle de lecture, la "salle Ovale", les globes sont relégués dans d’autres parties de la Bibliothèque, semble-t-il, avant d’être déplacés hors de Paris. On dit que les globes ont été transférés au Dépôt des marbres, mais c’est pourtant de la Bibliothèque nationale qu’ils partent en décembre 1914 pour l’orangerie du château de Versailles. Le départ pour Versailles correspond à un projet de réinstallation des globes dans le château, que la guerre interrompit.
D’autres emplacements sont envisagés, comme l’Observatoire au moment de sa rénovation. Il y eut également des projets d’expositions temporaires, lors de salons ou de manifestations. L’un d’entre eux se réalisa puisqu’ils furent présentés au Centre Georges-Pompidou de Beaubourg lors de l’exposition "Cartes et figures de la Terre" de 1980. Ce fut aussi une véritable révélation qui suscita de nouveaux projets de réinstallation, qui semblaient devoir avoir plus de succès : le château de Versailles demanda leur retour, la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette envisagea de les présenter...
La Bibliothèque nationale de France décida finalement de les placer dans le hall ouest du site de Tolbiac, où ils sont enfin visibles, non des seuls lecteurs, mais de tous ceux qui ont la curiosité de rentrer dans ce hall.
En préfiguration de cette installation définitive, le ministre de la Culture souhaita qu’ils soient exposés à un très large public dans la halle du Grand Palais dont la verrière venait d’être restaurée. Ainsi, durant les quinze derniers jours de septembre 2005, plus de 500 000 visiteurs ont déjà pu les admirer.
haut de page