arrêt sur

Le globe terrestre

globe terrestre
"À l’auguste majesté de Louis le Grand, l’invincible, l’heureux, le sage, le conquérant, César cardinal d’Estrées a consacré ce globe terrestre pour rendre un continuel hommage à sa gloire et à ses héroïques vertus, en monstrant les pays où mille grandes actions ont esté executées et par luy mesme et par ses ordres, à l’estonnement de tant de nations qu’il auroit pu soumettre à son empire si sa modération n’eust arresté le cours de ses conquestes et prescrit des bornes à sa valeur plus grande encore que sa fortune. 1683. Cet ouvrage a été inventé et achevé par le père Coronelli de l’ordre des mineurs conventuels."
Dédicace du globe terrestre, en hommage à Louis XIV.

Le globe terrestre est fascinant par le nombre infini d’informations qu’il fournit. Ses couleurs, un blanc et un bleu tranchés, font ressortir les contours des terres et des mers sur lesquelles se déploient des scènes marines ou de savants cartouches, tandis que le blanc de la terre est émaillé de scènes multiples, tantôt fabuleuses, tantôt exotiques, tantôt techniques. Pleines de mystères pour l’homme du XXIsiècle, elles intriguèrent aussi Louis XIV qui commanda leur transcription et leur explication.
 

Les sources

Le globe terrestre répond au besoin de figuration nécessaire à la science "visuelle, concrète et empirique" de l’Europe du XVIIe siècle. Coronelli commence par un énorme travail de compilation des connaissances géographiques de l'époque. Sa source principale est la production cartographique de Blaeu, qui assurait la suprématie de la Hollande sur toute l’Europe. On sait aussi qu’il a complété ses informations par les cartes de Sanson, mais qu’il avait aussi à sa disposition des comptes rendus officiels, inédits, qui devaient remettre à jour la connaissance d’une région, le tracé d’un fleuve ou d’une côte, à l’issue des explorations. Ainsi le détroit de Magellan est tracé d’après une carte de l’explorateur anglais John Narborough vue chez Seignelay, secrétaire d’État à la Marine et fils de Colbert.
Mais Coronelli ne se limite pas à recopier les cartes de ceux qu’il collecte (Blaeu ou Sanson). Avec l’aide de ses collaborateurs, le frère Giambattista Moro, et le dessinateur Perronel, chargé des cartes marines du Roi, Coronelli reporte aussi le tracé de quelques travaux tout récents, comme ceux de Villeneuves-Moreau et Lesage à Trinquemalé (levés en 1672) ou de Cavelier de La Salle qui descend le Mississippi en 1679-1681.
Mais Coronelli n’utilise pas le parterre géographique présenté au roi en 1682 par Cassini : la grande carte du monde dessinée sur le sol d’une des tours de l’Observatoire, complétée et corrigée au fil de la connaissance des travaux venus du monde entier, afin de permettre la correction de toutes les cartes dressées et publiées. Beaucoup le regretteront.
Lorsque les informations font défaut, Coronelli recourt à des hypothèses géographiques, parmis lesquelles il faut faire une place particulière à la Terre australe, terre inconnue située au sud de la Nouvelle-Hollande, de l’Amérique méridionale et de l’Afrique. Pendant près de deux siècles, les géographes ont placé ou fait disparaître cette terre censée équilibrer de son poids celles de l’hémisphère Nord pour permettre à notre Terre de "tourner rond". Là, Coronelli ne s’engage pas : il dessine une terre aux contours flous, comme dans tous les endroits où il reconnaît sa documentation comme trop lacunaire. Pourtant, à la différence du pôle boréal, qu’il se contente d’indiquer comme balayé par des vents froids, il place sur la terre antarctique un cartouche entouré de gros colis, suggérant d’éventuelles ressources à découvrir.
 

Une encyclopédie

Obsolète dès sa création, le globe n’en reste pas moins une remarquable encyclopédie, quoique les informations soient d’importance inégale selon les lieux. Coronelli complète son tracé par des textes qui se rapportent à tel ou tel lieu, à son histoire, à ses particularités géographiques, aux coutumes de ses habitants, à ses ressources présentes et à venir. Ces textes, au nombre de six cents, ont été sans doute écrits, au moins en partie, par l’un des membres de la Petite Académie (qui deviendra l’Académie royale des médailles et inscriptions), François Charpentier, qui participe aussi à l’explication des sujets des peintures choisies pour les grands appartements de Versailles.
Le tracé, reporté sur la surface du globe grâce à un carroyage nettement visible à la lumière rasante, est l’œuvre de cartographes. Les titres et les noms sont l’œuvre de peintres en lettres ; des enlumineurs semblent avoir dessiné les cartouches et d’autres scènes. Enfin, les deux grandes compositions que sont la dédicace au Roi et la représentation des quatre continents sont l’œuvre d’artistes confirmés. Doit-on y voir une réalisation de Pierre Mignard ou de l’école de Le Brun ? Ces deux grandes peintures, placées dans le sud de l’océan Pacifique, accentuent par leurs couleurs vives la force des images du globe.

dédicace terrestre

La dédicace

Le texte de la dédicace de César d’Estrées à Louis XIV vante ses héroïques vertus et la modération qui arrête "le cours de ses conquêtes et prescrit des bornes à sa valeur, plus grande encore que sa Fortune". Il est accompagné de dix allégories représentant la Géographie – qui a la place prépondérante –, la Navigation, l’Astronomie, l’Histoire, le Temps, l’Éloquence et la Poésie, la Géométrie, la Sculpture et la Musique, et l’ensemble a été rapproché de certaines compositions de Pierre Mignard. La qualité de ces illustrations souligne à quel point arts et sciences étaient indissociables.
Aux pieds de la Géographie, le tracé de la vallée du Mississippi dessine les progrès quasi contemporains des voyages de Cavelier de La Salle, transmis par l’intermédiaire de l’abbé Bernou qui avait présenté à Seignelay des projets d’implantation dans cette région. Le Roi, étrangement présenté tel un buste de marbre, a sans doute été peint plus tard.
dédicace terrestre
Plus à l’est, est placée une figuration des quatre parties du monde, surmontée d’un décor architectural. L’Europe et l’Asie sont représentées par des femmes, l’Amérique et l’Afrique, par des hommes. Au centre, l’Asie déploie ses richesses, l’Afrique, entourée d’animaux peu engageants, scorpions, lions ou serpents, regarde l’Europe qui, à son tour, a les yeux tournés vers l’Amérique qu’elle dévoile. La figuration de ces quatre parties du monde a été particulièrement soignée : elle s'inspire de l'Iconologie de Ripa et insiste sur les dernières expéditions américaines : l'Europe dévoile l'Amérique au sens propre du terme.

Scènes et cartouches

Figures et textes perpétuaient un usage depuis longtemps établi pour les cartes et les globes, notamment pour les plus grands d'entre eux. C'étaient des compléments indispensables à la perception d'espaces lointains et inconnus, peuplés d'êtres différents par leur apparence et leurs mœurs et pourvus de ressources les plus diverses (chasse, pêche, agriculture, minerais, etc.). Textes et images renforçaient le rôle pédagogique du globe terrestre et pouvaient conduire le Roi à s'intéresser vraiment au commerce extérieur et au développement de son support maritime comme le suggère la représentation des vaisseaux européens et asiatiques.
Évoquant la facilité du commerce, les flûtes et chaloupes européennes comme les caracolles indiennes ou les vaisseaux-serpents chinois courent des mers sans danger ; les nations ne font plus obstacle à la navigation et les scènes de bataille relèvent forcément du passé (la scène de bataille la plus récente est celle de Tabago en 1677).
L’océan Pacifique justifie son nom rassurant, des êtres fabuleux et séduisants apparaissent porteurs de toutes ces nouvelles richesses qu’on attribue à une mer clémente. La pêche à la baleine est aussi signalée là où elle est la plus productive, comme à Terre-Neuve, et l’on apprend comment conserver et sécher le poisson. Cependant certaines contrées sont plus inhospitalières : l’Afrique du Nord est peuplée d’animaux plus ou moins dangereux et les habitants du Brésil se livrent à des scènes d’anthropophagie, tout droit tirées des récits d’Amerigo Vespucci.
 
De grands et superbes cartouches attirent l’attention sur les richesses des Indes orientales et occidentales : la pêche aux perles, la cannelle de Ceylan et les ressources du lointain Jesso (Japon), argent, fourrures, plumes d’oiseaux… les mines du Nouveau-Mexique, comme un écho au Discours composé par François Charpentier.
À l’intérieur des continents, des commentaires indiquent que, pour le Mississippi : "dans toute cette étendue, il n’y a ni saut ni rapide" ; pour les sources du Nil, Coronelli place un texte interminable à l’ouest du fleuve, où il n’a ni information géographique ni élément historique à faire figurer. Une telle disposition se retrouve au Japon, en terre de Jesso, où le cartouche occupe non seulement l’espace intérieur des terres, mais déborde pour recouvrir l’incertain contour du littoral.

La transcription de François Le Large

C’est au début de 1704 que Louis XIV découvre enfin les présents que Coronelli a achevés vingt ans plus tôt. Pour pouvoir regarder les globes convenablement, les visiteurs accédaient à une galerie installée à mi-hauteur et des lunettes d’observation avaient été placées à proximité.
Le garde du globe terrestre, François Le Large, entreprit la transcription de toutes les légendes et son travail, nécessaire déjà en 1710, a préservé certains textes qui allaient par la suite s’effacer. Il se lança dans l’explication des figures, dont certaines étaient traitées avec "la fentaisie du peintre" et rechercha les sources. Mais, plus qu’à une simple transcription, Le Large se livre à une sévère analyse des éléments inscrits par Coronelli et lui reproche de ne pas mettre à jour sa cartographie. En effet, les travaux de l’Académie des sciences ont permis de multiplier les observations sur le terrain et de corriger beaucoup de positions géographiques.
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