On retrouvait ensuite les mêmes rois qui avaient renoncé
à la lutte : ils se tenaient debout en armes devant l'autel de
Jupiter, la coupe en mains, et concluaient leur alliance en sacrifiant
une truie. Non loin de là, des quadriges lancés en sens
contraire avaient écartelé Mettus — mais tu devais,
Albain, rester fidèle à ta parole ! —, Tullus traînait
par les bois les quartiers du parjure et les buissons épars dégout¬taient
de sang. Ailleurs, Tarquin avait été chassé, Porsenna
donnait ordre de le recevoir et assiégeait la ville avec un appareil
démesuré : pour garder leur liberté, les Enéades
aux armes se ruaient. On pouvait voir le roi avec tous les traits d'un
homme indigné et menaçant parce que Coclès osait
rompre le pont, parce que Clélie, ses chaînes brisées,
se jetait à la nage dans le fleuve.
En haut, Manlius, gardien de la citadelle tarpéienne, était
debout devant le temple, il tenait solidement le sommet du Capitole
; la Regia toute neuve se hérissait d'un chaume romuléen.
Et ici, voletant sous les portiques d'or, une oie d'argent annonçait
la présence des Gaulois sur le seuil ; les Gaulois étaient
là dans les buissons et serraient la citadelle, défendus
par les ténèbres et la faveur d'une nuit sombre. D'or
est leur chevelure et d'or leurs vêtements, leurs sayons rayés
luisent, leurs cous de lait sont entourés de cercles d'or, chacun
brandit à bout de bras deux lourdes piques alpines, de longs
boucliers protègent leur corps. Là il avait figuré
en relief les Saliens bondissants et lès Luperques nus, leurs
bonnets à la pointe de laine, les anciles tombés du ciel
; de chastes matrones, en chars suspendus, menaient par la ville des
cortèges sacrés. A quelque distance il ajoute encore les
demeures du Tartare, le haut portail de Dis, les châtiments qui
tombent sur les crimes et toi, Catilina, suspendu à un rocher
menaçant, plein d'effroi devant les faces des Furies ; à
l'écart les hommes pieux et Caton leur donnant des lois.
Au centre de ces figures se déployait à perte de vue l'image
d'une mer agitée toute d'or, mais sa teinte sombre
se rehaussait de crêtes blanches et tout autour, en cercle, de
clairs dauphins d'argent balayaient la mer de leurs queues et fendaient
la houle. Au milieu on pouvait voir des flottes de bronze, la guerre
d'Actium, Leucate tout entier bouillonnant sous l'appareil de Mars et
les flots resplendir des reflets de l'or. D'un côté, Auguste
César conduisant au combat les Italiens avec les Pères
et le peuple, les Pénates et les Grands Dieux, debout sur la
haute poupe ; deux flammes jaillissent de ses tempes radieuses, l'astre
pater¬nel apparaît au-dessus de sa tête. Non loin, avec
l'appui des vents et des dieux, Agrippa, fièrement, conduit le
corps de bataille ; il porte l'insigne de la valeur guerrière,
la cou¬ronne navale brille sur son front hérissé des
rostres. De l'autre côté, avec une profusion barbare et
des armes bigarrées, Antoine, ramenant ses victoires depuis les
peuples de l'Aurore et les rivages Rouges, traîne avec soi l'Egypte,
les forces de l'Orient, Bactres tirée du fond de l'univers ;
misère ! une épouse égyptienne le suit. Tous se
ruent à la fois, l'onde se couvre d'écume, tout entière,
retournée par l'effort des rames et les rostres à trois
dents. Ils gagnent le large. Sur la mer on croirait que flottent les
Cyclades déracinées ou que de hautes montagnes contre
des montagnes courent se jeter : telles sont les masses dont les hommes
se pressent, lançant leurs poupes chargées de tours. Flammes
d'étoupe, fers ailés, par l'effort des hommes, à
la pointe des traits, sont répandus partout ; les champs neptuniens
rougissent d'un carnage jusqu'alors inouï. La reine, dans le cœur
du combat, appelle ses troupes au son du sistre de ses pères
et ne voit pas encore derrière son dos les deux serpents. Des
dieux monstrueux mêlés de toutes natures, l'aboyeur Anubis,
pointent leurs traits contre Neptune et Vénus et contre Minerve.
Entre les combattants, Mars déploie sa rage, il est ciselé
en fer, et les sinistres Furies venues de l'éther; joyeuse, la
Discorde va et vient, sa robe déchirée, Bellone la suit,
avec son fouet sanglant.
À cette vue, l'Apollon d'Actium tendait son arc, d'en haut ;
tous alors, épouvantés, l'Égypte, les Indiens,
les Arabes tous ensemble, tous les Sabéens s'enfuyaient. La reine
elle-même appelant les vents semblait mettre à la voile
et déjà de plus en plus lâcher les cordages. Au
milieu de tant de cadavres, pâle de la mort qui l'attend, le maître
du feu l'avait fait passer, emportée par les ondes et par l'Iapyx;
et en face, le Nil, son grand corps abattu de douleur, déployant
les plis de sa robe et appelant dans son giron azuré, dans les
cachettes de ses canaux, les vaincus.
Mais César en un triple triomphe entrant dans les murs de Rome
consacrait aux dieux italiens, impérissable offrande, trois cents
grands temples par toute la ville. Les rues frémissaient de joie,
de jeux, d'applaudissements ; en chaque temple un chœur des mères
; en chacun, des autels; devant les autels, des taureaux immolés
étendus sur le sol. Lui-même, assis sur le seuil blanc
comme neige de l'éblouissant Phébus, reconnaît les
dons de ses peuples et les fixe aux piliers magnifiques ; les nations
vaincues s'avancent en un long cortège, diverses par leurs langues
mais tout autant par leurs armes et leurs costumes. Ici Mulciber avait
figuré le peuple des Nomades, les Africains à la robe
flottante, là les Lélèges, les Cariens, les Gélons
porteurs de flèches ; l'Euphrate radouci faisait couler ses eaux
; puis les Morins nés aux confins du monde, le Rhin à
deux cornes, les Dahes indomptés, l'Araxe irrité du pont
qui l'insulte.
Sur le bouclier de Vulcain, sur ce présent d'une mère,
voilà ce qu'il admire et, sans connaître la réalité,
il se plaît à en voir l'image, chargeant sur son épaule
la gloire et les destins de ses neveux.