Résumé de l'épisode :
Son navire disloqué, Ulysse parvient à lier ensemble
quille et mât en une épave qui dérive neuf jours
durant et l'emporte jusqu'au bout du monde, dans l'île idyllique
d'Ogygie où vit Calypso. La nymphe l'accueille avec amour. Elle
lui propose de le rendre immortel et jeune à tout jamais, ce qu'il
refuse, restant là sept années à pleurer un retour
impossible avant que Zeus n'accepte de le libérer. Sur l'injonction
d'Hermès, Calypso doit se résoudre à le laisser
partir ; elle lui offre son aide pour construire un radeau.
Extrait de l'épisode : Ulysse pleurant sur l’île
de Calypso
"Il était sur le promontoire ; ses larmes n’avaient
pas séché, et toute la douceur de la vie s’écoulait
avec ses larmes ; la nymphe ne lui plaisait plus. Il n’en
passait pas moins les nuits, mais par devoir, dans la grotte profonde :
elle ardente, lui sans ardeur mais, le jour, il allait s’asseoir
sur les pierres des grèves et il pleurait en regardant la mer
sans moissons. La nymphe merveilleuse en s’approchant lui dit :
"Malheureux, va! ne pleure plus toujours, et que ta vie ne se consume
point! Je veux bien te donner congé... Allons ! coupe de
longues poutres à la hache, et construis-en une barque assez grande,
avec un pont assez haut, afin qu’elle t’emporte dans les
brumes de la mer. Moi, j’y déposerai le vin pourpre, le
pain et l’eau en suffisance, en sorte que tu n’aies pas faim,
et je te vêtirai, puis ferai souffler un bon vent, afin que sain
et sauf tu retrouves ton lieu natal, s’il plaît du moins
aux dieux qui possèdent le ciel immense et, mieux que moi, peuvent
décider et parfaire."
A ces mots, l’endurant Ulysse eut un frisson et dit à Calypso
ces paroles ailées :
"Tu médites, déesse, autre chose que mon retour en
m’incitant à franchir en barque ce douloureux, terrible
abîme ; même d’harmonieux croiseurs, allègres
sous le vent de Zeus, n’en viennent pas à bout ! Ne
t’en déplaise, je ne m’embarquerai pas avant que tu
ne m’aies juré, par le serment majeur, que tu n’as
pas ainsi d’autres desseins sur moi."
A ces mots, Calypso la merveilleuse eut un sourire, le flatta de la main
et lui dit ces paroles : Tu es injuste, ami, mais non point sans
malice, il est vrai, pour penser à tenir ce langage. Soyez donc
mes témoins, ô Terre, ô vaste Ciel là-haut,
et vous eaux tombantes du Styx, par le plus grand, le plus terrible des
serments que puisse faire un Bienheureux, que je n’ai pas d’autres
desseins sur lui !
Je ne te donne pas ici d’autres conseils que ceux que je me donnerais,
si j’étais en un tel péril. Car mon esprit est juste,
et dans cette poitrine l’âme n’est pas de fer, mais
de pitié."
Homère, Odyssée, chant V, 151-191.
Traduction par Philippe Jaccottet.
La Découverte, 1982