La galiote à Lethierry

 

La "galiote à Lethierry" n'était pas mâtée selon le point vélique, et ce n'était pas là son défaut, car c'est une des lois de la construction navale ; d'ailleurs le navire ayant pour propulseur le feu, la voilure était l'accessoire. Ajoutons qu'un navire à roues est presque insensible à la voilure qu'on lui met. La galiote était trop courte, trop ronde, trop ramassée ; elle avait trop de joue et trop de hanche ; la hardiesse n'avait pas été jusqu'à la faire légère ; la galiote avait quelques-uns des inconvénients et quelques-unes des qualités de la panse. Elle tanguait peu, mais roulait beaucoup. Les tambours étaient trop hauts. Elle avait trop de bau pour sa longueur. La machine, massive, l'encombrait, et, pour rendre le navire capable d'une forte cargaison, on avait dû hausser démesurément la muraille, ce qui donnait à la galiote à peu près le défaut des vaisseaux de soixante-quatorze, qui sont un gabarit bâtard, et qu'il faut raser pour les rendre battants et marins. Étant courte, elle eût dû virer vite, les temps employés à une évolution étant comme les longueurs des navires ; mais sa pesanteur lui ôtait l'avantage que lui donnait sa brièveté. Son maître-couple était trop large, ce qui la ralentissait, la résistance de l'eau étant proportionnelle à la plus grande section immergée et au carré de la vitesse du navire. L'avant était vertical, ce qui ne serait pas une faute aujourd'hui, mais en ce temps-là l'usage invariable était de l'incliner de quarante-cinq degrés. Toutes les courbes de la coque étaient bien raccordées, mais pas assez longues pour l'obliquité et surtout pour le parallélisme avec le prisme d'eau déplacé, lequel ne doit jamais être refoulé que latéralement. Dans les gros temps, elle tirait trop d'eau, tantôt par l'avant, tantôt par l'arrière, ce qui indiquait un vice dans le centre de gravité. La charge n'étant pas où elle devait être, à cause du poids de la machine, le centre de gravité passait souvent à l'arrière du grand mât, et alors il fallait s'en tenir à la vapeur, et se défier de la grande voile, car l'effort de la grande voile dans ce cas-là faisait arriver le vaisseau au lieu de le soutenir au vent.

 

 

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer
Extrait du texte intégral sur Gallica.