|
Si la technique des
taches diffère de celle des empreintes, la vision demeure la même
tout en accentuant le jeu avec l'aléatoire.
Cette technique affirme le rôle de l'inconscient comme "une
source privilégiée du poétique", comme le souligne
André Breton dans cet éloge faite au travail graphique de
Hugo :
"Il est donc satisfaisant pour l'esprit que le dernier mot doive
rester dans ce domaine à l'uvre d'un homme qui n'était
ni graveur, ni peintre de profession. Que cet homme ait vu déjà
avant Rimbaud, dans l'encre utilisée par le pinceau comme par la
plume, le moyen de "fixer des vertiges" et d'interroger son
propre subconscient (préludant ainsi au psychodiagnostic de Rorschach).
(
) Pour tout dire, que cet auteur négligé de lavis,
de "taches d'encre" et de toiles de chevalet où la plus
puissante imagination se donne cours, ait été un poète,
et s'appelle Victor Hugo." (in L'Art magique).
Observez les différents dessins
réalisés à partir de taches et voyez comment
Victor Hugo tire parti du hasard.
La tache est un moyen pictural employé pour son pouvoir évocateur
; distinguez parmi ces dessins les taches laissées telles quelles,
de celles qui participent à une composition alliant d'autres techniques.
-
Effectuez quelques
recherches sur le Surréalisme,
en vous reportant notamment :
- à la définition du Surréalisme, dans Le
Manifeste du Surréalisme d'André Breton ;
- au dossier consacré à Raymond
Queneau
- aux dessins automatiques de Masson ;
- à l'uvre et aux écrits de Duchamp ;
- à cet extrait de Leiris
"C'est [
] à un ensemble
de clous et de tenons qu'il [le langage] pourrait être comparé
: infimes engins de ferraille qui nous per-mettent de faire métier
d'ajusteur et d'unir, en un tout d'apparence logique, les mille et
mille matériaux disparates dont notre tête est le hangar
; four-niment de boîte à outil
"
-
Victor Hugo utilise
ce qu'André Breton appelle la "tache d'encre prolongée"
comme dans ce pliage.
Voici une description de la technique employée :
"
la technique retient par son non-conformisme.
Utilisant toujours le même médium, il écrase une
tache d'encre en pliant la feuille de papier qui a été
mouillée. L'encre diffuse, les masses se répartissent
de part et d'autre de la pliure, d'où l'effet de symétrie.
Victor Hugo se laisse guider par les formes ainsi engendrées
par le hasard et intervient par un griffonnage à la plume pour
donner un sens à cette composition automatique. (
) Aucun
peintre européen, écrit André Masson, n'a employé,
avant Victor Hugo le lavis jusqu'au point d'en faire une matière.
Et cela avec lui est devenu peinture."
(Catalogue de la Donation Granville, Musée des Beaux-Arts de
Dijon, t.1, n°149)
Expliquez ce qu'André
Masson entend par "aucun peintre européen" en explorant
la tradition de l'art chinois et japonais.
- Recherchez dans
la
planche des exemples de taches d'encre sur papier plié, retrouvez
et observez les têtes et profils.
-
Aux frontières
de la non-figuration, reportez-vous aux dessins à l'encre de
Chine de Michaux et à son uvre poétique, aux tableaux
de Hartung, Frantz Kline, Jackson Pollock.
Mettez en rapport le travail de Victor Hugo avec ce que Pollock écrivait
vers 1956 :
"Quand je suis dans mon tableau, je ne
suis pas conscient de ce que je fais. C'est seulement après
une espèce de temps de "prise de conscience" que
je vois ce que j'ai voulu faire. Je n'ai pas peur d'effectuer des
changements, de détruire l'image, etc., parce qu'un tableau
a sa propre vie. J'essaie de la faire émerger.
Ce qui m'intéresse, c'est que les peintres d'aujourd'hui ne
sont plus obligés de chercher un sujet hors d'eux-mêmes.
(
) Ils travaillent de l'intérieur.
J'aborde la peinture comme on aborde le dessin, c'est-à-dire
directement. (
)
Je continue à m'éloigner des outils traditionnels du
peintre tels que le chevalet, la palette, les pinceaux, etc. Je préfère
le bâton, la truelle, le couteau et la peinture fluide que je
fais égoutter ou bien une pleine pâte de sable, du verre
brisé et d'autres éléments étrangers à
la peinture."
-
À votre
tour, explorez la technique du lavis pour effectuer des taches et
créer un dessin figuratif à partir des découvertes
que vous aurez faites, des formes qui vous auront été
ainsi suggérées.
Laissez vous guider par Michel Butor :
"Je laisse tomber une goutte et la feuille
blanche devient une terre plate, glacée, quelques touffes de
bruyère y frissonnant, sans routes, rien, pas même une
cabane, avec ça et là des tourbillons de neige arrachée
par le vent, succession d'ondulations brumeuses, perdues sous le silence
profond s'élargissant, et cela se prolonge en signatures et
phrases.
Je la regarde couler, cette goutte, l'étale et elle se met
à grouiller
"
Michel
Butor, "L'espérance de l'encre", in Du Chaos dans
le pinceau, catalogue de l'exposition, Maison de V.Hugo, 2000.
|