"Peuple de Guernesey…"

 

En exil sur l'île anglo-normande de Guernesey, qui dépend de l'Angleterre, Hugo n'abandonne pas son combat, au risque de se faire remarquer par les autorités locales. Si les proscrits français sont bien accueillis, on attend d'eux une certaine discrétion. Tout au contraire, en 1854, Hugo prend fait et cause pour le Guernesiais John Charles Tapner, condamné à la pendaison pour avoir cambriolé et incendié une maison après avoir tué sa propriétaire. Sur cette île paisible, les exécutions sont rares. En écrivant une lettre ouverte aux habitants de Guernesey, Hugo espère susciter parmi eux un mouvement de clémence, afin d'obtenir des autorités la prison plutôt que la mort. La cause est pourtant délicate, puisqu'en laissant pendre Tapner, les habitants peuvent avoir le sentiment de défendre leur sécurité et celle de leurs biens. Pour les convaincre, il faut se placer à un autre niveau.
Pétitions, réunions, courriers : la mobilisation s'organise sur l'île. Lord Palmerston, secrétaire d'État à l'Intérieur, accorde un délai. Mais peu après, Tapner est malgré tout pendu.

 
   
 

Peuple de Guernesey,
C'est un proscrit qui vient à vous.
C'est un proscrit qui vient vous parler pour un condamné. L'homme qui est dans l'exil tend la main à l'homme qui est dans le sépulcre. Ne le trouvez pas mauvais, et écoutez-moi.
[ …]
Peuple de pêcheurs, bons et vaillants hommes de la mer, ne laissez pas mourir cet homme. Ne jetez pas l'ombre d'une potence sur votre île charmante et bénie. N'introduisez pas dans vos héroïques et incertaines aventures de mer cet élément de malheur.
[ …]
Mais qu'importe ! pour moi cet assassin n'est plus un assassin, cet incendiaire n'est plus un incendiaire, ce voleur n'est plus un voleur ; c'est un être frémissant qui va mourir. Le malheur le fait mon frère. Je le défends.

 
 

Victor Hugo, Lettre aux habitants de Guernesey, 1854.