Hugo fait appel à la sensibilité de
son public ; mais il l'invite aussi à analyser, à comprendre
le phénomène qu'il condamne. Une exécution ne fait
pas seulement naître le rejet ou le dégoût, elle provoque
chez nombre de spectateurs un plaisir ambigu et inavouable. |
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Il y a au fond des hommes un sentiment étrange qui les pousse, ainsi qu'à des plaisirs, au spectacle des supplices. Ils cherchent avec un horrible empressement à saisir la pensée de la destruction sur les traits décomposés de celui qui va mourir, comme si quelque révélation du ciel ou de l'enfer devait apparaître, en ce moment solennel, dans les yeux du misérable ; comme pour voir quelle ombre jette l'aile de la mort planant sur une tête humaine, comme pour examiner ce qui reste d'un homme quand l'espérance l'a quitté. Cet être, plein de force et de santé, qui se meut, qui respire, qui vit, et qui, dans un moment, cessera de se mouvoir, de respirer, de vivre, environné d'êtres pareils à lui, auxquels il n'a rien fait, qui le plaignent tous, et dont nul ne le secourra [ ], cette vie que la société n'a pu donner, et qu'elle prend avec appareil, toute cette cérémonie imposante du meurtre judiciaire, ébranlent vivement les imaginations. Condamnés tous à mort avec des sursis indéfinis, c'est pour nous un objet de curiosité étrange et douloureuse que l'infortuné qui sait précisément à quelle heure son sursis doit être levé. |
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Victor Hugo, Han
d'Islande, chapitre XLVIII, 1823 |
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