|
Georgette, voyant ses frères en contemplation,
voulut savoir ce que c'était. II n'était pas aisé
d'arriver jusqu'à eux, elle l'entreprit pourtant ; le trajet
était hérissé de difficultés ; il y avait
des choses par terre, des tabourets renversés, des tas de paperasses,
des caisses d'emballage déclouées et vides, des bahuts,
des monceaux quelconques autour desquels il fallait cheminer, tout un
archipel d'écueils ; Georgette s'y hasarda. Elle commença
par sortir de son berceau, premier travail ; puis elle s'engagea
dans les récifs, serpenta dans les détroits, poussa un tabouret,
rampa entre deux coffres, passa par-dessus une liasse de papiers, grimpant
d'un côté, roulant de l'autre, montrant avec douceur sa pauvre
petite nudité, et parvint ainsi à ce qu'un marin appellerait
la mer libre, c'est-à-dire à un assez large espace de plancher
qui n'était plus obstrué et où il n'y avait plus
de périls ; alors elle s'élança, traversa cet espace
qui était tout le diamètre de la salle, à quatre
pattes, avec une vitesse de chat, et arriva près de la fenêtre ;
là il y avait un obstacle redoutable, la grande échelle
gisante le long du mur venait aboutir à cette fenêtre, et
l'extrémité de l'échelle dépassait un peu
le coin de l'embrasure ; cela faisait entre Georgette et ses frères
une sorte de cap à franchir; elle s'arrêta et médita
; son monologue intérieur terminé, elle prit son parti ;
elle empoigna résolument de ses doigts roses un des échelons,
lesquels étaient verticaux et non horizontaux, l'échelle
étant couchée sur un de ses montants ; elle essaya
de se lever sur ses pieds et retomba ; elle recommença deux
fois, elle échoua ; à la troisième fois, elle
réussit ; alors, droite et debout, s'appuyant successivement à
chacun des échelons, elle se mit à marcher le long de l'échelle ;
arrivée à l'extrémité, le point d'appui lui
manquait, elle trébucha, mais saisissant de ses petites mains le
bout du montant qui était énorme, elle se redressa, doubla
le promontoire, regarda René-Jean et Gros-Alain, et rit.
|