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Je vous salue.
Je vais vous dire ce que je suis. Je suis un de vous, je suis un matelot,
je suis un combattant du gouffre. J'ai sur moi un déchaînement
d'aquilons. Je ruisselle et je grelotte, mais je souris, et quelquefois
comme vous je chante. Un chant amer. Je suis un guide échoué,
qui ne s'est pas trompé, mais qui a sombré, à qui
la boussole donne raison et à qui l'ouragan donne tort, qui a en
lui la quantité de certitude que produit la catastrophe traversée,
et qui a le droit de parler aux pilotes avec l'autorité du naufragé.
Je suis dans la nuit, et j'attends avec calme l'espèce de jour
qui viendra, sans trop y compter pourtant, car si Après-demain
est sûr, Demain ne l'est pas ; les réalisations immédiates
sont rares, et, comme vous, j'ai plus d'une fois, sans confiance, vu poindre
la sinistre aurore. En attendant, je suis comme vous dans la tourmente,
dans la nuée, dans le tonnerre ; j'ai autour de moi un perpétuel
tremblement d'horizon, j'assiste au va-et-vient de ce flot qu'on appelle
le fait ; en proie aux événements comme vous aux vents,
je constate leur démence apparente et leur logique profonde ;
je sens que la tempête est une volonté, et que ma conscience
en est une autre, et qu'au fond elles sont d'accord ; et je persiste,
et je résiste, et je tiens tête aux despotes comme vous aux
cyclones, et je laisse hurler autour de moi toutes les meutes du cloaque
et tous les chiens de l'ombre, et je fais mon devoir, pas plus ému
de la haine que vous de l'écume.
Je ne vois pas l'étoile, mais je sais qu'elle me regarde, et cela
me suffit.
Voilà ce que je suis. Aimez-moi.
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