"La fin de Gwynplaine"

   
 

Alors Gwynplaine fut effrayant.
Il se dressa debout, leva le front, et considéra au-dessus de sa tête l'immense nuit.
Puis, vu de personne, regardé pourtant peut-être dans ces ténèbres par quelqu'un d'invisible, il étendit les bras vers la profondeur d'en haut, et dit :
– Je viens.
Et il se mit à marcher, dans la direction du bord, sur le pont du navire, comme si une vision l'attirait.
À quelques pas c'était l'abîme.
Il marchait lentement, il ne regardait pas à ses pieds. Il avait le sourire que Dea venait d'avoir.
Il allait droit devant lui. Il semblait voir quelque chose. Il avait dans la prunelle une lueur qui était comme la réverbération d'une âme aperçue au loin.
Il cria : – Oui !
À chaque pas il se rapprochait du bord.
Il marchait tout d'une pièce, les bras levés, la tête renversée en arrière, l' œil fixe, avec un mouvement de fantôme.
Il avançait sans hâte et sans hésitation, avec une précision fatale, comme s'il n'eût pas eu tout près le gouffre béant et la tombe ouverte.
Il murmurait : – Sois tranquille. Je te suis. Je distingue très bien le signe que tu me fais.
Il ne quittait pas des yeux un point du ciel, au plus haut de l'ombre. Il souriait.
Le ciel était absolument noir, il n'y avait plus d'étoiles, mais évidemment il en voyait une.
Il traversa le tillac.
Après quelques pas rigides et sinistres, il parvint à l'extrême bord.
– J'arrive, dit-il. Dea, me voilà.
Et il continua de marcher. Il n'y avait pas de parapet. Le vide était devant lui. Il y mit le pied.
Il tomba.
La nuit était épaisse et sourde, l'eau était profonde. Il s'engloutit. Ce fut une disparition calme et sombre. Personne ne vit ni n'entendit rien. Le navire continua de voguer et le fleuve de couler.
Peu après le navire entra dans l'Océan.
Quand Ursus revint à lui, il ne vit plus Gwynplaine, et il aperçut près du bord Homo qui hurlait dans l'ombre en regardant la mer.

 
 

Victor Hugo, L'Homme qui rit, 2e partie, conclusion, 4