"Combat maritime"

   
 

Il y avait sur la mer on ne sait quelle sombre attente.
Tout à coup, dans ce vaste et tumultueux silence de l'océan, il s'éleva une voix qui, grossie par le porte-voix comme par le masque d'airain de la tragédie antique, semblait presque surhumaine.
C'était le capitaine Boisberthelot qui prenait la parole.
– Marins du roi, cria-t-il, clouez le pavillon blanc au grand mât. Nous allons voir se lever notre dernier soleil.
Et un coup de canon partit de la corvette.
– Vive le roi ! cria l'équipage.
Alors on entendit au fond de l'horizon un autre cri, immense, lointain, confus, distinct pourtant :
– Vive la République !
Et un bruit pareil au bruit de trois cents foudres éclata dans les profondeurs de l'océan.
La lutte commençait.
La mer se couvrit de fumée et de feu.
Les jets d'écume que font les boulets en tombant dans l'eau piquèrent les vagues de tous les côtés.
La Claymore se mit à cracher de la flamme sur les huit navires. En même temps toute l'escadre groupée en demi-lune autour de la Claymore faisait feu de toutes ses batteries. L'horizon s'incendia. On eût dit un volcan qui sort de la mer. Le vent tordait cette immense pourpre de la bataille où les navires apparaissaient et disparaissaient comme des spectres. Au premier plan, le squelette noir de la corvette se dessinait sur ce fond rouge.
On distinguait à la pointe du grand mât le pavillon fleurdelysé.

 
 

Victor Hugo, Quatrevingt-treize, 1re partie, II, 10