"Pleine mer" (dernière strophe), "Plein ciel" (dernière strophe)

   
 

PLEINE MER
Ce monde est mort. Mais quoi ! l'homme est-il mort aussi ?
Cette forme de lui disparaissant, l'a-t-elle
Lui-même remporté dans l'énigme éternelle ?
L'océan est désert. Pas une voile au loin.
Ce n'est plus que du flot que le flot est témoin.
Pas un esquif vivant sur l'onde où la mouette
Voit du Léviathan rôder la silhouette.
Est-ce que l'homme, ainsi qu'un feuillage jauni,
S'en est allé dans l'ombre ? Est-ce que c'est fini ?
Seul, le flux et reflux va, vient, passe et repasse.
Et l'œil, pour retrouver l'homme absent de l'espace
Regarde en vain là-bas. Rien.
Regardez là-haut.


PLEIN CIEL
Loin dans les profondeurs, hors des nuits, hors du flot,
Dans un écartement de nuages, qui laisse
Voir au-dessus des mers la céleste allégresse,
Un point vague et confus apparaît ; dans le vent,
Dans l'espace, ce point se meut ; il est vivant;
Il va, descend, remonte ; il fait ce qu'il veut faire;
Il approche, il prend forme, il vient ; c'est une sphère,
C'est un inexprimable et surprenant vaisseau,
Globe comme le monde, et comme l'aigle oiseau ;
C'est un navire en marche. Où ? Dans l'éther sublime !

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Victor Hugo, La Légende des siècles, XIV