"La voix de Cimourdain"

 

Gauvain a libéré Lantenac et, en prenant sa place dans le cachot, il la prend aussi au procès, pour trahison cette fois. Mais c'est Cimourdain, père spirituel de Gauvain, qui préside le tribunal.

 
    
 

Puis le greffier dit :
– Une voix pour la mort. Une voix pour l'acquittement. Partage.
C'était à Cimourdain de voter.
Il se leva. Il ôta son chapeau et le posa sur la table.
Il n'était plus pâle ni livide. Sa face était couleur de terre.
Tous ceux qui étaient là eussent été couchés dans des suaires que le silence n'eût pas été plus profond.
Cimourdain dit d'une voix grave, lente et ferme :
– Accusé Gauvain, la cause est entendue. Au nom de la république, la cour martiale, à la majorité de deux voix contre une...
Il s'interrompit, il eut comme un temps d'arrêt ; hésitait-il devant la mort ? hésitait-il devant la vie ? toutes les poitrines étaient haletantes. Cimourdain continua :
– … Vous condamne à la peine de mort.
Son visage exprimait la torture du triomphe sinistre. Quand Jacob dans les ténèbres se fit bénir par l'ange qu'il avait terrassé, il devait avoir ce sourire effrayant.
Ce ne fut qu'une lueur, et cela passa. Cimourdain redevint de marbre, se rassit, remit son chapeau sur sa tête et ajouta :
– Gauvain, vous serez exécuté demain, au lever du soleil.
Gauvain se leva, salua et dit :
– Je remercie la cour.
– Emmenez le condamné, dit Cimourdain.
Cimourdain fit un signe, la porte du cachot se rouvrit, Gauvain y entra, le cachot se referma. Les deux gendarmes restèrent en faction des deux côtés de la porte, le sabre nu.
On emporta Radoub, qui venait de tomber sans connaissance.

 
 

Victor Hugo, Quatrevingt-treize, 3e partie, VII, 3