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Dans trois heures le soleil sera couché.
Ces paroles si simples me glacèrent comme une apparition funèbre.
Elles me rappelèrent la promesse fatale que j'avais faite à
Biassou. Hélas ! en revoyant Marie, je n'avais plus pensé
à notre séparation éternelle et prochaine ; je
n'avais été que ravi et enivré ; tant d'émotions
m'avaient enlevé la mémoire, et j'avais oublié ma mort
dans mon bonheur. Le mot de mon ami me rejeta violemment dans mon infortune.
Dans trois heures le soleil sera couché ! Il fallait
une heure pour me rendre au camp de Biassou... Mon devoir était
impérieusement prescrit ; le brigand avait ma parole, et il
valait mieux encore mourir que de donner à ce barbare le droit de
mépriser la seule chose à laquelle il parût se fier encore,
l'honneur d'un Français. L'alternative était terrible ;
je choisis ce que je devais choisir ; mais, je l'avouerai, messieurs,
j'hésitai un moment. Étais-je coupable ?
Enfin, poussant un soupir, je pris d'une main la main de Bug-Jargal, de
l'autre celle de ma pauvre Marie, qui observait avec anxiété
le nuage sinistre répandu sur tous mes traits.
Bug-Jargal, dis-je avec effort, je te confie le seul être
au monde que j'aime plus que toi, Marie. Retournez au camp sans
moi, car je ne puis vous suivre.
Mon Dieu, s'écria Marie respirant à peine, quelque
nouveau malheur !
Bug-Jargal avait tressailli. Un étonnement douloureux se peignait
dans ses yeux : Frère, que dis-tu ?
La terreur qui oppressait Marie à la seule idée d'un malheur
que sa trop prévoyante tendresse semblait deviner, me faisait une
loi de lui en cacher la réalité, et de lui épargner
des adieux si déchirants ; je me penchai à l'oreille
de Bug-Jargal, et lui dis à voix basse : Je suis
captif. J'ai juré à Biassou de revenir me mettre en son pouvoir
deux heures avant la fin du jour : j'ai promis de mourir.
Il bondit de fureur : sa voix devint éclatante.
Le monstre ! Voilà pourquoi il a voulu t'entretenir
secrètement ; c'était pour t'arracher cette promesse.
J'aurais dû me défier de ce misérable Biassou. Comment
n'ai-je pas prévu quelque perfidie ? Ce n'est pas un noir,
c'est un mulâtre.
Qu'est-ce donc ? Quelle perfidie ? Quelle promesse ?
dit Marie épouvantée : qui est ce Biassou ?
Tais-toi, tais-toi, répétai-je bas à Bug-Jargal,
n'alarmons pas Marie.
Bien, me dit-il d'un ton sombre. Mais comment as-tu pu consentir
à cette promesse ? pourquoi l'as-tu donnée ?
Je te croyais ingrat, je croyais Marie perdue pour moi. Que
m'importait la vie ?
Mais une promesse de bouche ne peut t'engager avec ce brigand ?
J'ai donné ma parole d'honneur.
Il parut chercher à comprendre ce que je voulais dire.
Ta parole d'honneur ! Qu'est-ce que cela ? Vous n'avez
pas bu à la même coupe ? Vous n'avez pas rompu ensemble
un anneau ou une branche d'érable à fleurs rouges ?
Non.
Eh bien ! que nous dis-tu donc ? Qu'est-ce qui peut
t'engager ?
Mon honneur, répondis-je.
Je ne sais pas ce que cela signifie. Rien ne te lie avec Biassou.
Viens avec nous.
Je ne puis, frère, j'ai promis.
Non ! tu n'a pas promis, s'écria-t-il avec emportement ;
puis, élevant la voix : Sur, joignez-vous à
moi, empêchez votre mari de nous quitter ; il veut retourner
au camp des nègres d'où je l'ai tiré, sous prétexte
qu'il a promis sa mort à leur chef, à Biassou.
Qu'as-tu fait ? m'écriai-je. Il était trop
tard pour prévenir l'effet de ce mouvement généreux
qui lui faisait implorer pour la vie de son rival l'auxiliaire de celle
qu'il aimait. Marie s'était jetée dans mes bras avec un cri
de désespoir. Ses mains jointes autour de mon cou la suspendaient
sur mon cur, car elle était sans force et presque sans haleine.
Oh ! murmurait-elle péniblement, que dit-il là,
mon Léopold ? N'est-il pas vrai qu'il me trompe, et que ce
n'est pas au moment qui vient de nous réunir que tu veux me quitter,
et me quitter pour mourir ? Réponds-moi vite ou je meurs. Tu
n'as pas le droit de donner ta vie, parce que tu ne dois pas donner la
mienne. Tu ne voudrais pas te séparer de moi pour ne me revoir jamais.
Marie, repris-je, ne le crois pas ; je vais te quitter
en effet ; il le faut ; mais nous nous reverrons ailleurs.
Ailleurs, reprit-elle avec effroi ailleurs ! où ?...
Dans le ciel, répondis-je, ne pouvant mentir à
cet ange.
Elle s'évanouit encore une fois, mais alors c'était de douleur.
L'heure pressait ; ma résolution était prise. Je la déposai
entre les bras de Bug-Jargal, dont les yeux étaient pleins de larmes.
Rien ne peut donc te retenir ? me dit-il. Je n'ajouterai
rien à ce que tu vois. Comment peux-tu résister à Marie ?
Pour une seule des paroles qu'elle t'a dites, je lui aurais sacrifié
un monde, et toi tu ne veux pas lui sacrifier ta mort ?
L'honneur ! répondis-je. Adieu, Bug-Jargal ;
adieu, frère, je te la lègue.
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