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Après ce mot mes enfants , Tellmarch
avait cessé de sourire, et la mère s'était mise à
penser. Que se passait-il dans cette âme ? Elle était
comme au fond d'un gouffre. Brusquement elle regarda Tellmarch, et cria
de nouveau et presque avec un accent de colère :
Mes enfants !
Tellmarch baissa la tête comme un coupable.
Il songeait à ce marquis de Lantenac qui certes ne pensait pas à
lui, et qui, probablement, ne savait même plus qu'il existât.
Il s'en rendait compte, il se disait : Un seigneur, quand
c'est dans le danger, ça vous connaît ; quand c'est dehors,
ça ne vous connaît plus.
Et il se demandait : Mais alors pourquoi ai-je sauvé
ce seigneur ?
Et il se répondait : Parce que c'est un homme.
Il fut là-dessus quelque temps pensif, et il reprit en lui-même :
En suis-je bien sûr ?
Et il se répéta son mot amer : Si j'avais
su !
Toute cette aventure l'accablait ; car dans ce qu'il avait fait,
il voyait une sorte d'énigme. Il méditait douloureusement.
Une bonne action peut donc être une mauvaise action. Qui sauve le
loup tue les brebis. Qui raccommode l'aile du vautour est responsable
de sa griffe.
Il se sentait en effet coupable. La colère inconsciente de cette
mère avait raison.
Pourtant, avoir sauvé cette mère le consolait d'avoir sauvé
ce marquis.
Mais les enfants ?
La mère aussi songeait. Ces deux pensées se côtoyaient
et, sans se le dire, se rencontraient peut-être, dans les ténèbres
de la rêverie.
Cependant son regard, au fond duquel était la nuit, se fixa de nouveau
sur Tellmarch.
Ça ne peut pourtant pas se passer comme ça, dit-elle.
Chut ! fit Tellmarch, et il mit le doigt sur sa bouche.
Elle poursuivit :
Vous avez eu tort de me sauver, et je vous en veux. J'aimerais
mieux être morte, parce que je suis sûre que je les verrais.
Je saurais où ils sont. Ils ne me verraient pas, mais je serais
près d'eux. Une morte, ça doit pouvoir protéger.
Il lui prit le bras et lui tâta le pouls.
Calmez-vous, vous vous redonnez la fièvre.
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