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Les jeunes filles de ce côté du Haut-Rhin
ont un costume exquis ; cette coiffure-cocarde dont je vous ai parlé,
un jupon brun à gros plis assez court et une veste d'homme en drap
noir avec des morceaux de soie rouge imitant des crevés et des
taillades cousus à la taille et aux manches. Quelques-unes, au
lieu de cocarde, ont un mouchoir rouge noué en fichu sous le menton.
Elles sont charmantes ainsi. Cela ne les empêche pas de se moucher
avec leurs doigts.
Lettre XXXII
Avec leur cocarde de rubans sur le front, moins exagérée
qu'à Freiburg, leur cuirasse de velours noir traversée de
chaînes d'argent et de rangées de boutons, leur cravate de
velours à coins brodés d'or serrée au cou comme le
gorgeret de fer des chevaliers, leur jupe brune à plis épais
et leur mine éveillée, les femmes de Brugg paraissent toutes
jolies ; beaucoup le sont. Les hommes sont habillés comme nos maçons
endimanchés, et sont affreux. Je comprends qu'il y ait des amoureux
à Brugg ; je ne conçois pas qu'il y ait des amoureuses.
Lettre XXXV
Cette vallée, du reste, n'est pas seulement
un confluent de rivières, c'est aussi un confluent de costumes.
On passe la Reuss, la cuirasse de velours noir devient un corselet de
damas à fleurs, au beau milieu duquel elles cousent un large galon
d'or. On passe la Limmat, la jupe brune devient une jupe rouge avec un
tablier de mousseline brodée. Toutes les coiffures se mêlent
également ; en dix minutes on rencontre de belles filles avec de
grands peignes exorbitants comme à Lima, avec des chapeaux de paille
noire à haute forme comme à Florence, avec une dentelle
sur les yeux comme à Madrid. Toutes ont un bouquet de fleurs naturelles
au côté. Raffinement. La variété des coiffures
est telle, que je m'attendais à tout. Après le pont de la
Reuss, il y a une petite côte. Je la montais à pied. Je vois
venir à moi une vieille femme coiffée d'une espèce
de vaste sombrero espagnol en cuir noir, dans l'ornement duquel entraient
pour couronnement une paire de bottes et un parapluie. J'allais enregistrer
cette coiffure bizarre, quand je me suis aperçu que cette bonne
femme portait tout simplement la valise d'un voyageur. Le voyageur suivait
à quelques pas ; brave homme, qui se piquait probablement de parler
français, et qui m'a accosté pour me raconter la révolution
de Zurich. Tout ce que j'y ai pu comprendre, à travers force baragouin,
c'est qu'il y avait eu une proclamation du bourgmestre, et que cette proclamation
commençait ainsi : braves iroquois ! - je présume
que le digne homme voulait dire : braves zuriquois.
Lettre XXXV
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