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L'autre semaine, il pouvait être une heure du
matin, tout le bourg dormait, j'écrivais dans ma chambre, lorsque
tout à coup je m'aperçois que mon papier est devenu rouge
sous ma plume. Je lève les yeux, je n'étais plus éclairé
par ma lampe, mais par mes fenêtres. Mes deux fenêtres s'étaient
changées en deux grandes tables d'opale rose à travers lesquelles
se répandait autour de moi une réverbération étrange.
Je les ouvre, je regarde. Une grosse voûte de flamme et de fumée
se courbait à quelques toises au-dessus de ma tête avec un
bruit effrayant. C'était tout simplement l'hôtel P-, le gasthaus
voisin du mien, qui avait pris feu, et qui brûlait.
En un instant l'auberge se réveille, tout le bourg est sur pied,
le cri : Feuer ! feuer ! emplit le quai et les rues, le tocsin
éclate. Moi, je ferme mes croisées et j'ouvre ma porte.
Autre spectacle. Le grand escalier de bois de mon gasthaus, touchant presque
à la maison incendiée et éclairé par de larges
fenêtres, semblait lui-même tout en feu ; et sur cet escalier,
du haut en bas, se heurtait, se pressait et se foulait une cohue d'ombres
surchargées de silhouettes bizarres. C'était toute l'auberge
qui déménageait, l'un en caleçon, l'autre en chemise,
les voyageurs avec leurs malles, les domestiques avec les meubles. Tous
ces fuyards étaient encore à moitié endormis. Personne
ne criait ni ne parlait. C'était le bruit d'une fourmilière.
Un horrible flamboiement remplissait les intervalles de toutes les têtes.
Quant à moi, car chacun pense à soi dans ces moments-là,
j'ai fort peu de bagage, j'étais logé au premier, et je
ne courais d'autre risque que d'être forcé de sortir de la
maison par la fenêtre.
Cependant un orage était survenu, il pleuvait à verse. Comme
il arrive toujours lorsqu'on se hâte, l'hôtel se vidait lentement
; et il y eut un instant d'affreuse confusion. Les uns voulaient entrer,
les autres sortir ; les gros meubles descendaient lourdement des fenêtres,
attachés à des cordes ; les matelas, les sacs de nuit et
les paquets de linge tombaient du haut du toit sur le pavé ; les
femmes s'épouvantaient, les enfants pleuraient ; les paysans, réveillés
par le tocsin, accouraient de la montagne avec leurs grands chapeaux ruisselant
d'eau et leurs seaux de cuir à la main. Le feu avait déjà
gagné le grenier de la maison, et l'on se disait qu'il avait été
mis exprès à l'auberge P-; circonstance qui ajoute toujours
un intérêt sombre et une sorte d'arrière-scène
dramatique à un incendie.
Bientôt les pompes sont arrivées, les chaînes de travailleurs
se sont formées ; et je suis monté dans le grenier, énorme
enchevêtrement, à plusieurs étages, de charpentes
pittoresques comme en recouvrent tous ces grands toits d'ardoise des bords
du Rhin. Toute la charpente de la maison voisine brûlait dans une
seule flamme. Cette immense pyramide de braise, surmontée d'un
vaste panache rouge que secouait le vent de l'orage, se penchait avec
des craquements sourds sur notre toit, déjà allumé
et pétillant çà et là. La question était
sérieuse ; si notre toit prenait feu, dix maisons à coup
sûr, et peut-être, avec l'aide du vent, le tiers de la ville,
brûlaient. La besogne a été rude. Il a fallu, sous
les flammèches et les tourbillons d'étincelles, écorcer
les ardoises d'une partie du toit et couper les pignons-girouettes des
lucarnes. Les pompes étaient admirablement servies.
Des lucarnes du grenier je plongeais dans la fournaise et j'étais
pour ainsi dire dans l'incendie même. C'est une effroyable et admirable
chose qu'un incendie vu à brûle-pourpoint. Je n'avais jamais
eu ce spectacle ; - puisque j'y étais, - je l'ai accepté.
Au premier moment, quand on se voit comme enveloppé dans cette
monstrueuse caverne de feu où tout flambe, reluit, pétille,
crie, souffre, éclate et croule, on ne peut se défendre
d'un mouvement d'anxiété, il semble que tout est perdu et
que rien ne saura lutter contre cette force affreuse qu'on appelle le
feu ; mais, dès que les pompes arrivent, on reprend courage.
On ne peut se figurer avec quelle rage l'eau attaque son ennemi. à
peine la pompe, ce long serpent qu'on entend haleter en bas dans les ténèbres,
a-t-elle passé au-dessus du mur sombre son cou effilé et
fait étinceler dans la flamme sa fine tête de cuivre, qu'elle
crache avec fureur un jet d'acier liquide sur l'épouvantable chimère
à mille têtes. Le brasier, attaqué à l'improviste,
hurle, se dresse, bondit effroyablement, ouvre d'horribles gueules pleines
de rubis, et lèche de ses innombrables langues toutes les portes
et toutes les fenêtres à la fois. La vapeur se mêle
à la fumée ; des tourbillons blancs et des tourbillons noirs
s'en vont à tous les souffles du vent, et se tordent et s'étreignent
dans l'ombre sous les nuées. Le sifflement de l'eau répond
au mugissement du feu. Rien n'est plus terrible et plus grand que cet
ancien et éternel combat de l'hydre et du dragon.
La force de la colonne d'eau lancée par la pompe est prodigieuse.
Les ardoises et les briques qu'elle touche se brisent et s'éparpillent
comme des écailles. Quand la charpente en feu s'est écroulée,
magnifique moment où le panache écarlate de l'incendie a
été remplacé, au milieu d'un bruit terrible, par
une immense et haute aigrette d'étincelles, une cheminée
est restée debout sur la maison comme une espèce de petite
tour de pierre. Un jet de pompe l'a jetée dans le gouffre.
Le Rhin, les villages, les montagnes, les ruines, tout le spectre sanglant
du paysage reparaissant à cette lueur, se mêlaient à
la fumée, aux flammes, au glas continuel du tocsin, au fracas des
pans de mur s'abattant tout entiers comme des ponts-levis, aux coups sourds
de la hache, au tumulte de l'orage et à la rumeur de la ville.
Vraiment c'était hideux, mais c'était beau.
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