Lettre

   
 

Carlsrühe, novembre.
Cher Louis, voilà cette lettre interminable finie. Louez Dieu et pardonnez-moi. Ne lisez pas l'in-folio que je vous envoie, mais venez voir Heidelberg.
Je viens de faire une magnifique tournée dans la Berg-Strasse. J'ai eu de la boue et de la neige, mais vous savez que je suis un peu montagnard. J'ai seulement beaucoup souffert, non du froid, mais des poêles. Figurez-vous que, depuis que je suis en Allemagne, je n'ai pas encore pu réussir à me procurer un feu de cheminée, un tison allumé, un fagot flambant. Ils n'ont que d'affreux poêles dont les tuyaux se tordent dans les chambres comme des serpents. Il sort de là une vilaine chaleur traître qui vous fait bouillir la tête et vous glace les pieds. Ici on ne se chauffe pas, on s'asphyxie.
À ce petit inconvénient près, - l'asphyxie soir et matin, - le pays est vraiment admirable. Il pleut toute la nuit ; j'entends, tout en dormant, les averses faire rage contre mes vitres ; je m'attends à d'horribles journées mouillées ; mais, je ne sais comment cela se fait, le matin les nuées se déchirent, les brumes s'envolent, et je vois les plus belles choses du monde.
Nocte pluit tota, redeunt spectacula mane.
Adieu, cher ami. À bientôt. Dans quelques semaines je serrerai votre bonne main. Aimez-moi.

 
 

Victor Hugo, Le Rhin, lettres à un ami, Lettre XXVIII.