Nain jaune

   
 

Donc, vers quatre heures du matin, le souffle gai et froid de l'aube entra par la vitre abaissée et me frappa au visage ; je m'éveillai à demi, ayant déjà l'impression confuse des objets réels, et conservant encore assez du sommeil et du rêve pour suivre de l'œil un petit nain fantastique vêtu d'une chape d'or, coiffé d'une perruque rouge, haut comme mon pouce, qui dansait allégrement derrière le postillon, sur la croupe du cheval porteur, faisant force contorsions bizarres, gambadant comme un saltimbanque, parodiant toutes les postures du postillon, et esquivant le fouet avec des soubresauts comiques quand par hasard il passait près de lui. De temps en temps ce nain se retournait vers moi, et il me semblait qu'il me saluait ironiquement avec de grands éclats de rire. Il y avait dans l'avant-train de la voiture un écrou mal graissé qui chantait une chanson dont le méchant petit drôle paraissait s'amuser beaucoup. Par moments, ses espiègleries et ses insolences me mettaient presque en colère, et j'étais tenté d'avertir le postillon. Quand il y eut plus de jour dans l'air et moins de sommeil dans ma tête, je reconnus que ce nain sautant dans sa chape d'or était un petit bouton de cuivre à houppe écarlate vissé dans la croupière du cheval. Tous les mouvements du cheval se communiquaient à la croupière en s'exagérant, et faisaient prendre au bouton de cuivre mille folles attitudes. - Je me réveillai tout à fait.

 
 

Victor Hugo, Le Rhin, lettres à un ami, Lettre XXXI.