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Du début
Légende.
Le beau Pécopin aimait la belle Bauldour, et la belle Bauldour
aimait le beau Pécopin. Pécopin était fils du burgrave
de Sonneck, et Bauldour était fille du sire de Falkenburg. L'un
avait la forêt, l'autre avait la montagne. Or quoi de plus simple
que de marier la montagne à la forêt ? Les deux pères
s'entendirent, et l'on fiança Bauldour à Pécopin.
Ce jour-là, c'était un jour d'avril, les sureaux et les
aubépines en fleur s'ouvraient au soleil dans la forêt, mille
petites cascades charmantes, neiges et pluies changées en ruisseaux,
horreurs de l'hiver devenues les grâces du printemps, sautaient
harmonieusement dans la montagne, et l'amour, cet avril de l'homme, chantait,
rayonnait et s'épanouissait dans le cœur des deux fiancés.
Le père de Pécopin, vieux et vaillant chevalier, l'honneur
du Nahegau, mourut quelque temps après les accordailles, en bénissant
son fils et en lui recommandant Bauldour. Pécopin pleura, puis
peu à peu, de la tombe où son père avait disparu,
ses yeux se reportèrent au doux et radieux visage de sa fiancée,
et il se consola. Quand la lune se lève, songe-t-on au soleil couché ?
Pécopin avait toutes les qualités d'un gentilhomme, d'un
jeune homme et d'un homme. Bauldour était une reine dans le manoir,
une sainte vierge à l'église, une nymphe dans les bois,
une fée à l'ouvrage.
Pécopin était grand chasseur, et Bauldour était belle
fileuse. Or il n'y a pas de haine entre le fuseau et la carnassière.
La fileuse file pendant que le chasseur chasse. Il est absent, la quenouille
console et désennuie. La meute aboie, le rouet chante. La meute,
qui est au loin et qu'on entend à peine, mêlée au
cor et perdue profondément dans les halliers, dit tout bas avec
un vague bruit de fanfare : songe à ton amant. Le rouet, qui force
la belle rêveuse à baisser les yeux, dit tout haut et sans
cesse avec sa petite voix douce et sévère : songe à
ton mari. Et, quand le mari et l'amant ne font qu'un, tout va bien.
Mariez donc la fileuse au chasseur, et ne craignez rien.
Lettre XXI
À la fin
En effet, il y avait bien dans la chambre quelqu'un qui filait, mais c'était
une vieille femme. Une vieille femme, c'est trop peu dire ; c'était
une vieille fée, car les fées seules atteignent à
ces âges fabuleux et à ces décrépitudes séculaires.
Or cette duègne paraissait avoir et avait nécessairement
plus de cent ans. Figurez-vous, si vous pouvez, une pauvre petite créature
humaine ou surhumaine courbée, pliée, cassée, tannée,
rouillée, éraillée, écaillée, renfrognée,
ratatinée et rechignée ; blanche de sourcils et de cheveux,
noire de dents et de lèvres, jaune du reste ; maigre, chauve, glabre,
terreuse, branlante et hideuse. Et, si vous voulez avoir quelque idée
de ce visage, où mille rides venaient aboutir à la bouche
comme les raies d'une roue au moyeu, imaginez que vous voyez vivre l'insolente
métaphore des latins, anus. cet être vénérable
et horrible était assis ou accroupi près de la fenêtre,
les yeux baissés sur son rouet et le fuseau à la main comme
une parque.
La bonne dame était probablement fort sourde ; car, au bruit que
firent la porte en s'ouvrant et Pécopin en entrant, elle ne bougea
pas.
Cependant le chevalier ôta son infule et son bicoquet, comme il
sied devant des personnes d'un si grand âge, et dit en faisant un
pas : - Madame la duègne, où est Bauldour ?
La dame centenaire leva les yeux, laissa tomber son fil, trembla de tous
ses petits membres, poussa un petit cri, se souleva à demi sur
la chaise, étendit vers Pécopin ses longues mains de squelette,
fixa sur lui son oeil de larve, et dit avec une voix faible et osseuse
qui semblait sortir d'un sépulcre : - O ciel ! Chevalier Pécopin ! Que voulez-vous ? Vous faut-il des messes ? ô mon Dieu seigneur ! Chevalier Pécopin, vous êtes donc mort, que voilà
votre ombre qui revient ?
- Pardieu, ma bonne dame, - répondit Pécopin, éclatant
de rire et parlant très haut pour que Bauldour l'entendît
si elle était dans son oratoire, un peu surpris pourtant que cette
duègne sût son nom, -je ne suis pas mort. Ce n'est pas mon
ombre qui apparaît ; c'est moi qui reviens, s'il vous plaît,
moi, Pécopin, un bon revenant de chair et d'os. Et je ne veux pas
de messes, je veux un baiser de ma fiancée, de Bauldour, que j'aime
plus que jamais. Entendez-vous, ma bonne dame ?
Comme il achevait ces mots, la vieille se jeta à son cou.
C'était Bauldour.
Hélas ! La nuit de chasse du diable avait duré cent ans.
Bauldour n'était pas morte, grâce à Dieu ou au démon
; mais au moment où Pécopin, aussi jeune et plus beau peut-être
qu'autrefois, la retrouvait et la revoyait, la pauvre fille avait cent
vingt ans et un jour.
Lettre XXI
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