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Cependant le soir vient, le vent tombe, les prés,
les buissons et les arbres se taisent, on n'entend plus que le bruit de
l'eau. L'intérieur des maisons s'éclaire vaguement ; les
objets s'effacent comme dans une fumée ; les voyageurs bâillent
à qui mieux mieux dans la voiture en disant : nous serons à
Liège dans une heure. C'est dans ce moment-là que le paysage
prend tout à coup un aspect extraordinaire. Là-bas, dans
les futaies, au pied des collines brunes et velues de l'occident, deux
rondes prunelles de feu éclatent et resplendissent comme des yeux
de tigre. Ici, au bord de la route, voici un effrayant chandelier de quatre-vingts
pieds de haut qui flambe dans le paysage et qui jette sur les rochers,
les forêts et les ravins, des réverbérations sinistres.
Plus loin, à l'entrée de cette vallée enfouie dans
l'ombre, il y a une gueule pleine de braise qui s'ouvre et se ferme brusquement
et d'où sort par instants avec d'affreux hoquets une langue de
flamme.
Ce sont les usines qui s'allument.
Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flemalle, la chose
devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble
trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent
derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate
étoilée d'étincelles ; d'autres dessinent lugubrement
sur un fond rouge la noire silhouette des villages ; ailleurs les flammes
apparaissent à travers les crevasses d'un groupe d'édifices.
On croirait qu'une armée ennemie vient de traverser le pays, et
que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette
nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de
l'incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres
flamboyants.
Ce spectacle de guerre est donné par la paix ; cette copie effroyable
de la dévastation est faite par l'industrie. Vous avez tout simplement
là sous les yeux les hauts fourneaux de M Cockerill.
Un bruit farouche et violent sort de ce chaos de travailleurs. J'ai eu
la curiosité de mettre pied à terre et de m'approcher d'un
de ces antres. Là, j'ai admiré véritablement l'industrie.
C'est un beau et prodigieux spectacle, qui, la nuit, semble emprunter
à la tristesse solennelle de l'heure quelque chose de surnaturel.
Les roues, les scies, les chaudières, les laminoirs, les cylindres,
les balanciers, tous ces monstres de cuivre, de tôle et d'airain
que nous nommons des machines et que la vapeur fait vivre d'une vie effrayante
et terrible, mugissent, sifflent, grincent, râlent, reniflent, aboient,
glapissent, déchirent le bronze, tordent le fer, mâchent
le granit, et, par moments, au milieu des ouvriers noirs et enfumés
qui les harcèlent, hurlent avec douleur dans l'atmosphère
ardente de l'usine, comme des hydres et des dragons tourmentés
par des démons dans un enfer.
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