Zurich

   
 

La nuit était tout à fait tombée, je m'étais tout platement endormi dans la voiture, quand un bruit de planches sous le piétinement des chevaux m'a réveillé. J'ai ouvert les yeux. J'étais dans une espèce de caverne en charpente de l'aspect le plus singulier. Au-dessus de moi, de grosses poutres courbées en cintres surbaissés et arc-boutées d'une manière inextricable portaient une voûte de ténèbres ; à droite et à gauche, de basses arcades faites de solives trapues me laissaient entrevoir deux galeries obscures et étroites, percées çà et là de trous carrés par lesquels m'arrivaient la brise de la nuit et le bruit d'une rivière. Tout au fond, à l'extrémité de cette étrange crypte, je voyais briller vaguement des bayonnettes. La voiture roulait lentement sur un plancher des fentes duquel sortait une rumeur assourdissante. Une torche éloignée, qui tremblait au vent, jetait des clartés mêlées d'ombres sur ces massives arches de bois. J'étais dans le pont couvert de Zurich. Des patrouilles bivouaquaient alentour. Rien ne peut donner une idée de ce pont, vu ainsi et à cette heure. Figurez-vous la forêt d'une cathédrale posée en travers sur un fleuve et s'ébranlant sous les roues d'une diligence.

 
 

Victor Hugo, Le Rhin, lettres à un ami, Lettre XXXV.