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Je vais ainsi toute la journée, sans trop savoir
où je suis, l'œil le plus souvent fixé à terre, la
tête courbée vers le sentier, les bras derrière le
dos, laissant tomber les heures et ramassant les pensées quand
j'en trouve. Je m'assieds dans ces excellents fauteuils revêtus
de mousse, c'est-à-dire de velours vert, que l'antique Palès
creuse au pied de tous les vieux chênes pour le voyageur fatigué
; je mets en liberté, pour ma bienvenue, comme un souverain débonnaire,
toutes les mouches et tous les papillons que je trouve pris dans les filets
autour de moi ; petite amnistie obscure, qui, comme toutes les amnisties,
ne fâche que les araignées. Et puis, je regarde couler au-dessous
de mon trône, dans le ravin, quelque admirable ruisseau semé
de roches pointues où se fronce à mille plis la tunique
d'argent de la naïade ; ou bien, si le mont n'a pas de torrent, si
le vent, les feuilles et l'herbe se taisent, si le lieu est bien calme,
bien désert, bien éloigné de toute ville, de toute
maison, de toute cabane même, je fais faire silence en moi-même
à tout ce qui murmure sans cesse en nous, j'ouvre l'oreille aux
chansons de quelque jeune montagnard perdu dans les branches avec son
troupeau de chèvres, là-bas, bien loin, au-dessus ou au-dessous
de moi. Rien n'est mélancolique et doux comme la tyrolienne sauvage
chantée dans l'ombre, par un pauvre petit chevrier invisible, pour
la solitude qui l'écoute. Quelquefois, dans toute une grande montagne,
il n'y a que la voix d'un enfant.
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