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Heureusement,
la raison me revient vite et me dit : vieille bête de poète,
ne vas-tu pas te figurer que tu es peintre !
Lettre à
Burty
Quand
il veut, spectre gai, le sarcasme à la bouche
Et l’ombre dans les yeux,
Rire avec l’infini, pauvre âme aventurière,
L’homme frissonnant voit les arbres en prière
Et les monts sérieux.
Les Contemplations,
VI, VI, XVI
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Plumes, encres, papier, tels sont les outils
usuels de l’écrivain, ceux qu’il va transformer au gré de
ses inspirations en extraordinaires compositions plastiques. Car le poète,
dramaturge, romancier, est aussi un artiste graphique. Dès l’enfance,
ses carnets d’écolier révèlent un goût à
laisser courir sa plume selon les caprices du hasard ou de l’inconscient.
Les voyages lui inspirent ensuite des vues de "burgs", de paysages et
châteaux gothiques, aux formes mouvantes et fantastiques. La réalité
sous le regard du poète est déformée, distordue,
tout comme la physionomie humaine, qui devient sous sa plume caricature :
car, si "le beau n’a qu’un type, le laid en a mille".
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Cette part méconnue de son œuvre,
qualifiée par son auteur "d’espèces d’essais faits par moi,
à des heures de rêverie presque inconsciente, avec ce qui
restait d’encre dans ma plume", témoigne d’un même univers
sensible fait d’ombre et lumière. Si l’écrivain est rompu
aux formules et aux subtilités de la langue, l’artiste autodidacte
se laisse guider par l’intuition et le hasard, au fil d’expérimentations
multiples. Annonçant les avant-gardistes du XXe siècle,
il invente, laisse glisser sur sa feuille suie, pastel ou "averse de café
noir", trempe dans l’encre doigts, feuilles de fougère, dentelles ;
il gratte, tache, découpe, plie, replie, guettant le choc "sauvage"
de la "rencontre fortuite" entre les matières.
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