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De la bibliothèque d’Hauteville
House, lourde coursive surveillée par un hublot noir, comme l’œil
ombreux du maître absent, à la Bibliothèque nationale
de Paris à laquelle Hugo lègue tous ses papiers, plus de
trente ans de vie encadrée par les livres. De la bibliothèque
intime de l’exilé à la bibliothèque universelle de
la postérité, le livre, l’objet livre pointe de loin en
loin dans l’immense édifice de l’œuvre hugolienne. Soucieux de
la conservation du patrimoine et de ses propres manuscrits, Hugo fait
même exécuter à Guernesey de nombreuses reliures,
notamment celle de son premier roman, Bug-Jargal ! Plus fondamentalement,
le livre surgit d’abord dans cette réflexion de médiologue
avant l’heure, nichée au creux de Notre-Dame de Paris, "Ceci
tuera cela", ou comment l’imprimé démodera l’architecture.
Méditation prophétique échappée d’une intelligence
aussi inquiète du médium – où c’est écrit
– que du message – ce qui est écrit. Le livre est cet objet étrange,
à la présence mêlée de violence : ici,
il tue, il libère de la pierre. Là, dans Quatrevingt-treize,
il est tué. C’est de lui qu’on se libère. Car le "Massacre
de saint Barthelémy" – chapitre à part, fable philosophique
dans le roman – offre le spectacle d’une mise à mort : trois
enfants perdus dans une bibliothèque déchirent un livre
monumental et jubilent de mettre ainsi en pièces ce livre prison,
cette Bible Bastille qu’il faut abattre. Mais dans ce cas, le livre, dans
sa lacération même, devient un manifeste : il faut massacrer
le massacre !
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