D’Humayun à Akbar (1530-1605)

© Bibliothèque nationale de France
Portraits des empereurs Akbar et Humayun
Cet album, qui contient une suite de portraits de vingt des souverains timourides, depuis Tamerlan (fin du 14e siècle) jusqu’à Shah Alam II (1759-1806), a appartenu au colonel Gentil. Ces portraits, destinés aux voyageurs qui souhaitaient garder une galerie souvenir des empereurs de l’Indoustan, étaient souvent stéréotypés, d’une part parce que la majorité de ces effigies étaient rétrospectives, mais aussi parce que ces peintures se faisaient en série. Néanmoins, cette suite, copiée d’après des originaux de la collection impériale, est particulièrement soignée et somptueuse. Chaque trône est différent et l’on n’a pas lésiné sur l’emploi de feuilles d’or. Akbar (régnant 1556-1605) est ici représenté âgé et tient sur sa main gantée un faucon, allusion à sa passion pour la chasse ; son fils Humayun est reconnaissable à son turban qui était à la mode à son époque, notamment à Kaboul, lorsqu’il y était en exil.
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Il avait, certes, existé auparavant des royaumes musulmans en Inde, dont le plus célèbre avait été le sultanat de Delhi (1175-1290), mais jamais leur territoire n’avait atteint la taille qui sera celle de l’empire moghol ni réuni sous sa domination la majeure partie de l’Inde. Après 1350, les dynasties qui continuèrent le sultanat de Delhi connurent un relatif déclin et la puissance musulmane s’affaiblit dans le sub-continent. Malgré un nombre assez limité d’adeptes, l’Islam s’était toutefois solidement établi en Inde, aussi bien parmi les populations immigrées que parmi les Indiens convertis de l’hindouisme. Ceux-ci gardèrent cependant des coutumes, des pratiques et le mode de vie de la grande majorité des habitants de l’Inde.
Ses conquêtes firent de Babur, roi de Kaboul, le plus puissant des princes musulmans d’Inde. À sa mort, survenue en décembre 1530, ce général de génie, conquérant de Delhi et d’Agra, qui était aussi poète en langue turque et ami des arts, eut pour successeur son fils Humayun. Humayun régnera jusqu’en 1556, mais il aura à réprimer de nombreuses révoltes. De tempérament paisible, il continua, malgré les revers militaires, à encourager, comme son père, les lettres et l’art du livre.
En 1544, Sher Shah, un Afghan, puis son frère Mirza Kamran, infligèrent de lourdes défaites à Humayun et le contraignirent à s’exiler en Iran. Là, il trouva un refuge auprès de Shah Tahmasb, souverain de la jeune dynastie chiite des Safavides. Dès l’année suivante, les Iraniens aidèrent Humayun à reprendre Qandahar, puis, en 1555, à redevenir maître d’Agra et de Delhi. De ce temps d’exil en Iran, Humayun avait su tirer profit pour faire connaissance avec les techniques et les goûts esthétiques qui étaient en honneur à la cour de Tabriz, où brillaient les peintres Abd os-Samad, Mir Sayyed ’Ali et Mir Mosavver. Il invita certains artistes à l’accompagner en Inde, souhaitant voir pratiquer auprès de lui un art où se faisaient jour certaines tendances naturalistes qu’il goûtait.

Mausolée de l’empereur Akbar à Sikandra, près d’Agra
La monumentale tombe de l’empereur Akbar (régnant 1556-1605), à Sikandra, dans les environs d’Agra, fut commandée par son fils et successeur Jahangir et achevée vers 1612. Comme celle d’Humayun, elle reprend la bichromie de marbre blanc et de grès rouge mais, au lieu d’un dôme central, elle est organisée en une superposition de cours encadrées de galeries. Le cénotaphe est situé dans la cour supérieure de marbre blanc, à ciel ouvert. Sur la façade, le rez-de-chaussée comprend une grande arcade centrale, ornée de carreaux bleus et d’arabesques blanches, encadrée de part et d’autre de cinq arcades en ogive plus petites.
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En 1556, Akbar, né en 1542 au Sind pendant la retraite de son père Humayun, accéda au trône à treize ans, à la mort de celui-ci. Ce souverain, qui a marqué d’une empreinte considérable l’histoire de l’Inde, régnera un demi-siècle, jusqu’en 1605. C’est à lui qu’il revint, lorsqu’il régna personnellement à partir de 1562, d’organiser de façon solide l’empire moghol. Par sa politique administrative et religieuse, il sut asseoir le régime sur des bases stables. Musulman sunnite, il fit montre d’une égale estime pour toutes les religions de son empire. Il élabora même, à partir de 1580, le projet d’une « religion divine » (Din-i Ilahi en persan), syncrétique, combinant Islam, Hindouisme, Judaïsme, Christianisme et Zoroastrisme, laquelle resta toutefois sans réel lendemain. C’est cependant la marque d’un état d’esprit propre à ce souverain et à certains de ses conseillers, comme le savant Abul-Fazl, non sans influence sur ses contemporains. L’année 1592, par ailleurs, était celle de l’avènement du second millénaire de l’hégire islamique, date propice aux mouvements messianiques.
Les conquêtes d’Akbar apportent à l’empire de nouvelles provinces, ou rétablissent l’autorité moghole là où elle avait été évincée. Le Mewar est pris en 1561, le Guzarate en 1572. En 1576, c’est au tour du Marwar, et du Bengale, puis, en 1586, du Cachemire. En 1592, le Sind et l’Orissa sont conquis ; après le Berar en 1596, le Khandesh est annexé à son tour en 1600. Pour éviter les rébellions et les soulèvements, Akbar fait appel autant que possible aux chefs locaux qui sont loyaux envers lui et n’écrase pas trop d’impôts les non-musulmans, ce qui est d’autant plus aisé que les conquêtes enrichissent considérablement le trésor impérial. Par ailleurs, la puissance du souverain veut être sans partage et ses réformes visent à faire de lui le maître incontesté de l’Inde. Des troubles éclateront cependant çà ou là, notamment au Bengale.
En 1600, l’empire d’Akbar, divisé en 15 provinces (suba), s’étend de Qandahar à Chittagong et de Srinagar, au Nord, à une ligne allant de Daman à Cuttack, au Sud. La collecte des impôts est organisée selon un système nouveau tenant compte des ressources agricoles locales. Les provinces sont confiées à des gouverneurs qui y exercent un pouvoir quasi-absolu et ont autour d’eux une véritable cour, à l’imitation de leur souverain. Akbar emploie à son service aussi bien des musulmans que des hindous. Jusqu’en 1572 la capitale est Agra. Puis, de 1572 à 1584, Akbar réside dans une ville qu’il a fait bâtir tout exprès, Fathpur Sikri, mais l’abandonne ensuite pour Lahore, qui restera la capitale jusqu’en 1638.

Façade du palais de Salim Shah, dans le vieux Delhi
Salim Shah était le fils et le successeur de Sher Shah Suri, conquérant afghan originaire du Bihar qui chassa Humayun en 1540 et devint Sultan de Delhi. Outre ce palais, Salim Shah fit construire, en 1546, le fort de Salimgarh. En 1774, le comte de Modave le décrivait ainsi : « Slimguer est un ancien fort tout attenant le palais de Delhi. On y mettait autrefois les prisonniers d’État. Il est aujourd’hui presque abandonné. » C’est précisément en 1774 que cette vue a été réalisée par un architecte du nawab Shuja ud-Daula.
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Comme mécène, Akbar, dont certains assurent qu’il était illettré, se montra protecteur très éclairé des peintres, aussi bien dans le domaine de l’enluminure des livres manuscrits que dans celui des tableaux isolés. Sa passion pour les œuvres marquées par le réalisme et la copie des scènes les plus vivantes sera à l’origine d’un essor considérable de l’activité des ateliers impériaux de peinture.
Il est souvent présomptueux de porter un jugement sur l’activité artistique d’une époque. Sous le règne d’Akbar cependant les peintres de la cour parviennent à réaliser une harmonieuse synthèse des traditions picturales indienne et persane. La découverte de l’art européen de la Renaissance, et surtout de la gravure flamande, permettra ensuite aux artistes impériaux de satisfaire le goût de leur souverain pour le réalisme du dessin et la précision des détails. Loin d’être des copies serviles, les œuvres des maîtres du temps montrent que le génie indien assimila vite les apports nouveaux.

Davalpa monté sur un homme
Cette image provient d’une version illustrée du célèbre traité encyclopédique ‘Aja ‘ib al-makhlukat ( « Merveilles de la création » ), rédigé en arabe par Qazvini (1203-1283) et dans lequel il décrit le monde, les astres, les signes du zodiaque, les peuples étranges, les animaux du ciel, de la terre et de la mer, les minéraux, la flore, mais aussi les monstres, combinaisons d’hommes et d’animaux, les êtres fantastiques (houri, dragon, djinn, pygmée, ours avec une tête de poisson, homme de Jabeh, avec la tête sur le tronc…). Ici, un homme porte sur ses épaules un davalpa, sorte d’elfe souvent malveillant qui fit son apparition dans l’imaginaire oriental vers le 9e siècle, et plus particulièrement en Perse. Le davalpa décrit par Qazvini appartient au peuple de la mer de Chine. Cette étrange créature ressemble à un être humain, mais ses jambes molles et sans os (ou « jambes de cuir » ) ne peuvent le porter : aussi pour se déplacer doit-il monter sur un homme qui devient son esclave. Qazvini place les davalpa dans le Mazandaran, région qu’habitent les sagsar (cynocéphales).
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Akbar fit illustrer de grandes œuvres littéraires en persan : un roman, puis une autobiographie de son grand-père Babur, et, enfin, sa propre biographie (Akbar-name), due à son conseiller et ami Abul-Fazl. Sans doute exista-t-il encore d’autres manuscrits impériaux, aujourd’hui perdus, comme le « Livre des Merveilles de la Création » de Qazvini.
Âgé, Akbar aura à souffrir de la rébellion ouverte de son fils, Salim, pourtant destiné à régner. Impatient de monter sur le trône, Salim, fils d’Akbar et d’une princesse rajpoute, s’était lui-même proclamé empereur alors qu’il était encore gouverneur d’Allahabad, sur le Gange, et avait fait périr le puissant conseiller de son père, Abul-Fazl.
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