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Enluminures en Islam

Un art figuratif en Islam

Par Annie Vernay-Nouri

C’est dans l’art du manuscrit que va s’épanouir la peinture. Si l’on excepte les fragments fatimides découverts à Fustât, en Égypte, les premières représentations figuratives connues remontent au XIe siècle et apparaissent d’abord dans des manuscrits à caractère scientifique ou technique.

La peinture dans les manuscrits arabes, turcs et persans

À la maison de la Sagesse, à Bagdad, au VIIIe siècle, on copie et traduit à partir du grec de nombreux ouvrages de botanique, de zoologie, d’astronomie et d’astrologie, de géographie, de médecine et de chirurgie, de mécanique…
On ne sait si ces premiers volumes, dont il ne reste aucun exemplaire, étaient illustrés, mais on connaît des copies plus tardives qui reprennent, en les adaptant, des modèles iconographiques grecs.
Écrit par l’astronome al-Sûfî au Xe siècle et copié en 1009 par son fils, le Kitâb suwar al-kawâkib al-thâbita (Traité des étoiles fixes) est le plus ancien manuscrit illustré conservé. Dessinées finement à l’encre noire, les constellations sont représentées sous forme humaine, selon la tradition grecque, mais visages et vêtements se teintent de caractéristiques arabes. Cet ouvrage, qui connut une longue postérité, fut copié jusqu’au XVIIIe siècle, le style du dessin se transformant au gré des lieux de production.
L’influence du modèle est tout aussi perceptible dans les quelques copies qui nous restent du De materia medica, célèbre recueil de pharmacopée de Dioscoride. Les illustrations, de plantes pour la plupart, sont parfois accompagnées de personnages en train de confectionner des préparations pharmaceutiques. Le Traité de la thériaque copié en 1199 – recueil de textes décrivant l’élaboration de la thériaque, qui était utilisée comme antidote aux morsures de serpents – allie la richesse de la calligraphie et des décors à celle des planches botaniques et des scènes narratives.

Réalisés dès le seuil du XIIIe siècle à la cour abbasside de Bagdad ou dans les cours princières environnantes, ces manuscrits sont produits pour un public riche et cultivé. L’image y a pour fonction d’expliciter le texte, et ces traités seront recopiés fidèlement pendant plusieurs siècles. Mais, à partir du XVe siècle, les Persans puis les Turcs introduisent des scènes plus narratives : à la simple représentation des instruments chirurgicaux, par exemple, s’adjoint désormais celle du praticien en train de les utiliser. De même, dans un manuscrit turc du XVIe siècle, on voit l’astronome Tâqî ad-Dîn manipuler quadrants et sphères dans son observatoire d’Istanbul.
La deuxième catégorie de manuscrits illustrés copiés dans le monde arabe est constituée de rares textes littéraires. Les plus importants sont les Maqâmât (Livre des séances), œuvre d’une grande virtuosité linguistique et stylistique d’al-Harîrî (1054-1122), et un recueil de fables venues d’Inde, traduites en arabe par Ibn al-Muqaffa’ vers 750, Kalila wa Dimna.

Leur production, qui s’est concentrée en Syrie et en Iraq au début du XIIIe siècle, fut brutalement interrompue avec la prise de Bagdad par les Mongols en 1258. Avec les mêmes codes iconographiques, elle renaîtra sous les Mamelouks en Égypte et en Syrie, terres de refuge de l’arabité jusqu’au XVIe siècle.
Parallèlement, dans la partie orientale de l’empire musulman, plusieurs dynasties régionales vont favoriser l’essor de la culture persane. Dès le Xe siècle, une littérature originale voit le jour en Iran, portée par le renouveau du persan qui a désormais adopté l’alphabet arabe. Grâce au mécénat princier, de somptueux manuscrits sont produits dans des ateliers où se côtoient enlumineurs, miniaturistes et relieurs. Au XIIIe siècle, alors que la production de volumes illustrés devient plus importante, émerge une nouvelle esthétique. D’anciens textes traduits de l’arabe en persan, comme Kalila wa Dimna, voient leur mise en page et le style de leur peinture se transformer considérablement. D’autres ouvrages sont ornés de miniatures. Écrite par Ferdowsi au Xe siècle, la grande épopée nationale du Shâhnâmeh (Livre des rois), histoire de la Perse depuis ses origines mythiques jusqu’à la conquête musulmane, connaîtra ainsi de nombreuses versions peintes – jusqu’au XXe siècle.
La poésie, sous ses diverses formes, épique, amoureuse ou mystique, se pare de calligraphies, de papiers précieux, d’enluminures mais aussi de miniatures. Les poètes Sa’di, auteur des recueils Golestân (La Roseraie) et Bustân (Le Verger), et Hâfez en sont les virtuoses. Les cinq parties du Khamseh (Cinq poèmes) de Nezâmi (1141-1209), le maître de l’épopée romanesque, se prêtent à merveille aux compositions picturales. Ces textes suscitent de nombreuses imitations, dont certaines sont en turc, langue également pratiquée dans quelques cours princières. Désormais illustrées, les chroniques historiques deviennent un outil de légitimation pour les dynasties ilkhanide (1256-1335) et timouride (1378-1506), qui, venues d’Asie centrale, se sont converties à la culture persane.



 
À partir du XVIe siècle, régnant sur une large part du monde musulman, la dynastie turque des Ottomans renouvelle les différentes formes d’expression artistique. Largement nourrie de la miniature iranienne, leur peinture s’enrichit d’autres apports venus d’Asie centrale mais aussi d’Europe ; plus narrative, elle tend aussi au réalisme.
Le portrait, jusqu’alors absent de la tradition picturale, fait son apparition avec la venue d’artistes italiens à la cour d’Istanbul. La ressemblance avec le modèle est désormais recherchée, comme en témoignent les tableaux des sultans ottomans. Glorifiant les guerres menées par les souverains, de grandes chroniques illustrées relatent les conquêtes en Europe et en Orient, tandis que de luxueux manuscrits montrent en détail des événements contemporains, fêtes ou cérémonies.
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