anthologie
jeux de princes

BOURDALOUE

Sur les divertissements du monde
1632-1704
 
[Madame de Sévigné en parle dans une lettre de 1680... Il apprend ses sermons par coeur et les récite les yeux fermés. Élocution neutre...]

 

JE ne prétends rien exagérer, Chrétiens, et ce n'est pas mon dessein de condamner sans exception tous les divertissements de la vie. Je sais quels arrêts le Fils de Dieu a portés contre les heureux du siècle , lorsqu'il a dit en général : (a) Vice vobis qui ridetis ; malheur à vous qui cherchez les plaisirs de ce monde: (b) Voe vobis quia babetis consolationem vestram ; malheur à vous qui trouvez votre félicité fur la terre , et qui la faites consister dans les vaines joies de la terre. Mais du reste sans altérer en aucune forte les paroles de Jésus-Christ, et sans vouloir en adoucir la sévérité , je puis , et je dois même convenir d'abord qu'il y a des récréations innocentes , des récréations honnêtes , et par conséquent permises selon les régies de discrétion & de modération que l'Evangile nous prescrit. Je ne viens donc point vous dire que tous les divertissements du monde font criminels et réprouvés de Dieu : mais aussi j'avance avec saint Grégoire Pape, qui l'a remarqué avant moi, que ces divertissements du monde permis et innocents sont bien rares ; que ces divertissements honnêtes sont dans le monde en bien petit nombre; en un mot, que la plupart des divertissements du monde font condamnables , pourquoi ? par trois rairons. Je les considère ces divertissements mondains, dans leur nature, dans leur étendue , et dans leurs effets. Or , je soutiens qu'ils sont presque tous, ou impurs et défendus dans leur nature ou excessifs dans leur étendue ou enfin scandaleux dans leurs effets. ............................................................................................................................
Une chose est agréable, ou le paraît ; et parce qu'elle est agréable, on l'aime ; et parce qu'on l'aime , on se figure qu'elle est bonne ; et à force de se le figurer , on s'en fait une espèce de conviction , en vertu de laquelle on agit au préjudice de la conscience et malgré les plus pures lumières de la grâce. Or , appliquons cette maxime générale aux points particuliers, fur tout à celui que je traite. Je prétends qu'il y a des divertissements dans le monde qui passent pour légitimes, et que l'opinion commune des gens du siècle autorise ; mais que le Christianisme condamne, et qui ne peuvent s'accorder avec l'intégrité & la pureté des moeurs.
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Ainsi, par exemple , ces représentations profanes, ces spectacles où assistent tant de mondains oisifs et voluptueux, ces assemblées publiques et de pur plaisir, où sont reçus tous ceux qu'y amène , soit l'envie de paraître , soit l'envie de voir ; en deux mots , pour me faire toujours mieux entendre , comédies et bals , sont-ce des divertissements permis ou défendus ? Les uns éclairés de la véritable sagesse, qui est la sagesse de l'Evangile , les réprouvent ; les autres trompés par les fausses lumières d'une prudence charnelle les justifient , ou s'efforcent de les justifier. ............................................................................................................................
Mais vous le savez : Prédicateurs dans la Chaire, Directeurs dans le Tribunal de la Pénitence , Docteurs dans les Ecoles, Pasteurs des âmes , Ministres des Autels , tiennent tous encore le même langage , et se trouvent appuyés de tout ce que l'Église a de vrais enfants & de vrais fidèles. Que reste-t-il donc ? je l'ai dit, quelques mondains , c'est-à-dire , un certain nombre de gens libertins , amateurs d'eux-mêmes , et idolâtres de leurs plaisirs ; de gens sans étude , fans connaissance , sans attention à leur salut ; de femmes vaines , dont toute la science se réduit à une parure, dont tout le désir est de paraître & de se faire remarquer , dont tout le soin est de charmer le temps et de se tenir en garde contre l'ennui qui les surprend, dès que l'amusement leur manque, et qu'elles sont hors de la bagatelle... ..........................................................................................................................
Mais souffrez que je me borne à ceci, sur quoi je ne me suis encore jamais bien expliqué : c'est le jeu. Principe de mille malheurs, et passion que je ne puis trop fortement combattre, puisqu'elle est la source de tant de désordres. Vous le savez : on joue , mais sans retenue ; et l'excès est tel , que ceux mêmes qui en sont coupables, sont obligés de le condamner. Que j'en prenne à témoin un joueur de profession , et que devant Dieu je le prie de me répondre si son jeu ne va pas trop loin , je dis trop loin selon la raison , le Christianisme & la conscience, il en conviendra. En effet, dans la plupart. des jeux, surtout des jeux que l'usage du monde autorise le plus, il y a trois fortes d'excès opposés à la raison et à la Religion. Excès dans le soin qu'on y emploie , excès dans la dépense qu'on y fait ,.excès dans l'attachement & l'ardeur avec laquelle on s'y porte : tout cela contraire aux règles de la vraie piété & aux maximes éternelles de la Loi de Dieu.