anthologie
jeux de princes

INDE

 
Apsaras - Déesses du jeu
 
– Celle qui attaque et qui gagne, l'Apsaras habile joueuse, l'Apsaras qui tient en main le coup heureux : c est elle que j'  invoque.
– Celle qui sépare et divise, l'Apsaras habile joueuse, l'Apsaras qui prend en main le coup heu­reux : c est elle que j' invoque.
– Celle qui danse avec les dés, tirant de sa poignée le coup heureux, puisse-t-elle lançant les points décisifs gagner notre partie par sa force magique ! Qu'elle vienne à nous riche (le lait, que nul n'emporte notre enjeu!
– Elles se complaisent dans les dés, apportant la douleur ou la colère ; l'Apsaras qui charme et qui ravit, c'est elle que j'invoque.
 
Atharvaveda N. 38 - dans « Hymnes et prières du Veda» : trad. du sanscrit par Louis Renou. Paris Adrien Maisonneuve 1938. n°67.




Ivresse du jeu

– J'aime avec ivresse ces enfants du grand Vibhâdaca, ces Dés qui s'agitent, tombent dans l'air et roulent sur le sol. Mon ivresse est pareille à celle que cause le Soma, né sur le Moudjavân : que Vibhâdaca, toujours éveillé, me protège!
– J'ai une épouse qui n'a contre moi ni colère ni mauvaise parole. Elle est bonne pour ses amis comme pour son époux. Et voilà la femme dévouée que je laisse pour aller tenter la fortune '. Cependant ma belle-mère me hait, mon épouse me repousse. Le secours que me demande le pauvre est refusé. Car le sort d'un joueur est celui d'un vieux cheval de louage.
– D'autres consolent l'épouse de celui qui aime les coups d'un Dé triomphant. Son père, sa mère. ses frères lui disent : «Nous ne le connaissons pas. Emmenez-le enchaîné.»
– Quand je réfléchis, je ne veux plus être malheureux par ces Dés. Mais en passant, les amis me poussent. Les dés noirs en tombant ont fait entendre leur voix. Et je vais à l'endroit où ils sont. pareil à une femme perdue d'amour.
– Le joueur arrive à la réunion. IL se dit, le corps tout échauffé : « Je gagnerai ! » Les Dés s'emparent de l'âme du joueur qui leur livre tout son avoir.
– Les Dés sont comme le conducteur de l'éléphant, armé d'un croc avec lequel il le presse. Ils brûlent le joueur de désirs et de regrets, remportent des victoires, distribuent le butin, font le bonheur et le désespoir des jeunes gens, et, pour les séduire, ils se couvrent de miel.
– La troupe des cinquante-trois se livre à ses ébats ; et brille comme le juste et divin Savitri. Ils ne cèdent ni à la colère ni à la menace. Le roi lui-même se baisse devant eux.
– Roulant par terre, secoués dans l'air, ils sont privés de bras ; et ils commandent à celui qui en a. Ce sont des charbons célestes qui tombent sur le sol, et qui glacent et brûlent le coeur.
– L'épouse du joueur abandonné s'afflige; sa mère se désole, ne sachant ce qu'est devenu son fils. Lui-même, poursuivi par un créancier, tremble; la pensée du vol lui est venue ; il ne rentre chez lui que la nuit.
– En revoyant sa femme, il songe que d'autres épouses sont heureuses, que d'autres ménages sont fortunés. Dès le matin il attelle de nouveau le char de ses noirs coursiers, et quand Agni s'éteint, il couche par terre comme un misérable Vrichala.
– Ô Dés, je salue avec respect celui qui est le roi et le chef de votre grande armée. Je ne dédaigne pas vos présents et je vous tends les deux mains. Mais je dirai en toute vérité :
– Ô joueur, ne touche pas aux dés ! Travaille plutôt la terre et jouis d'une fortune qui soit le fruit de ta sagesse. Je reste avec mes vaches, avec mon épouse. J'ai ici un bonheur qui a pour garant le grand Savitri.
– Ô Dés, soyez bons pour nous, et traitez-nous en amis. Ne venez pas avec un coeur impitoyable. Réservez votre colère pour nos ennemis. Qu'un autre que nous soit dans les chaînes de ces noirs combattants

Rig-Veda ou livre des Hymnes Livre VIII, hymne II, trad. du sanscrit par A. Langlois Paris Jean Maisonneuve, 1872, réed. 1984, p. 531