Le capitaine et les rêves
Björn Larsson

  Il y avait, au large, des crépuscules d'une beauté à pleurer. A ces moments-là, la mer était absolument déserte, le soleil incandescent restait suspendu au-dessus de l'horizon occidental telle une énorme étoile écarlate colorant en rouge sang le ciel avoisinant, tandis que, à 1 'orient - que ce soleil trop bas ne parvenait plus à éclairer - ce même ciel virait au noir, que la mer n'était plus qu'une houle aux reflets de pétrole et que le pouls puissant de l'océan faisait doucement osciller le navire. Lors de tels crépuscules, on pouvait. croire que le monde était réconcilié avec lui-même et que, partout, beauté et bonté ne faisaient plus qu'un.
Ces moments-là, Marcel les passait toujours seul, à la proue. Ses hommes sentaient bien qu'il désirait ne pas être dérangé et ils évitaient de le faire. Sundgren l'observait du haut de la passerelle et se demandait souvent à quoi il pensait.
Mais, si Sundgren lui avait posé la question - ce qui ne serait jamais venu à l'esprit de ce dernier -, il n'aurait probablement pas obtenu de réponse. D'ailleurs, comment être sûr que Marcel savait à quoi il pensait, au cours de ces heures pendant lesquelles il restait à contempler la mer, à l'avant de son bateau ? Peut-être se tenait-il là parce qu'il y était obligé, parce qu'un beau crépuscule marin lui donnait un sentiment de plénitude et écartait de son esprit toute idée du monde et de ses habitants, ces milliards d'êtres humains qui avaient le droit que leur vie ait un sens, le peu de temps qu'elle durait, mais dont l'existence était souvent gâchée à des choses de rien du tout, avant de se perdre dans le sable.
Björn Larsson, Le capitaine et les rêves, Editions Grasset, 1999