La mer
Jules Michelet

Grande, très grande différence entre les deux éléments : la terre est muette, et l'Océan parle. L'Océan est une voix. Il parle aux astres lointains, répond à leur mouvement dans sa langue grave et solennelle. Il parle à la terre, au rivage, d'un accent pathétique, dialogue avec leurs échos ; plaintif, menaçant tour à tour, il gronde ou soupire. Il s'adresse à l'homme surtout. Comme il est le creuset fécond où la création commença et continue dans sa puissance, il en a la vivante éloquence ; c'est la vie qui parle à la vie. Les êtres qui, par millions, milliards, naissent de lui, ce sont ses paroles. La mer de lait dont ils sortent, la féconde gelée marine, avant même de s'organiser, blanche, écumante, elle parle. Tout cela ensemble, mêlé, c'est la grande voix de l'Océan.
Que dit-il ? Il dit la vie, la métamorphose éternelle. Il dit l'existence fluide. Il fait honte aux ambitions pétrifiées de la vie terrestre.
Que dit-il ? Immortalité. Une force indomptable de vie est au plus bas de la nature. Combien plus au plus haut, dans l'âme !
Que dit-il ? Solidarité. Acceptons le rapide échange qui, dans l'individu, existe entre ses éléments divers. Acceptons la loi supérieure qui unit les membres vivants d'un même corps : humanité. Et, au-dessus, la loi suprême qui nous fait coopérer, créer, avec la grande Ame, associés (dans notre mesure) à l'aimante Harmonie du monde, solidaires dans la vie de Dieu.
Jules Michelet, La mer, 1861